Entek : « À Londres, le game est implacable »

Expatrié à Londres depuis trois ans, Entek réalise tranquillement son rêve chez Selectors Assemble, label phare de broken beat, mais aussi avec son groupe Alexandr London, récemment passé par le studio berlinois Colors. En escale à Bruxelles, quelques minutes avant un set au Kumiko aux côtés de ses amis Neue Grafik et Food For Ya Soul, le Tourangeau nous livre son parcours et les rencontres qui ont marqué sa vie.




D’où vient ton rapport à la musique ?

Je suis originaire de Tours. J’ai commencé à jouer de la batterie vers neuf ans, ma mère m’avait inscrit au solfège et dans un orchestre. Quand tu es gosse, tu trouves ça chiant mais avec du recul, j’ai énormément appris à cette période. J’ai un peu tout fait, du jazz band au marching band. Je me considère comme éclectique, j’ai touché à tout dès le plus jeune âge. Les mecs que j’écoutais étaient influencés majoritairement par le jazz et l’opéra. J’ai fini par dériver vers le rap.

Comment t’es-tu tourné vers ce genre ?

Un pote m’a introduit au beatbox et les gens avec qui je traînais au lycée étaient également attirés par ce milieu. On rappait pour passer de bons moments, rien n’était sérieux. Nous avons tout de même fait quelques dates à l’époque, ce qui est plutôt cool quand j’y repense.

À quel moment as-tu décidé de composer ?

Très tôt. Je me suis acheté des platines pour apprendre à scratcher, le beatbox est entré dans ma vie, puis la danse et un tas d’autres choses. J’ai commencé sur Hip-Hop DJ, un vieux logiciel où tu collais trois samples et avais l’impression d’être un beatmaker de fou, c’était marrant. Les camarades avec qui je rappais venaient à la maison et on posait sur mes instrus, pour rigoler. En soi, j’ai toujours fait de la prod, même si à l’origine j’étais beaucoup plus rap. Les championnats de beatbox auxquels j’ai participé par la suite m’ont amené à faire des rencontres. J’avais une petite notoriété à Tours, où je commençais à pas mal tourner.

C’est à cette période que tu rencontres Grems ?

Yes. J’ai eu la chance de faire sa première partie dans un petit bar, il a bien accroché et m’a fait remonter sur scène après le show. Il m’a demandé si j’étais d’aplomb pour l’accompagner sur quelques dates à Paris. Nous avons commencé à bosser ensemble à ce moment. L’aventure a duré six ans, notamment via PMPDJ, le trio que nous formions avec Starlion. Forcément, avec tout ce temps, des embrouilles se créent. Nous n’étions plus d’accord sur la musique que l’on voulait faire et avons pris la décision de nous séparer. J’ai décidé de bouger à Londres à cet instant, tout ce qu’on sortait ressemblait davantage à du son d’Angleterre et ce que j’écoutais étais très axé UK. J’étais libre et les envies d’ailleurs se faisaient sentir. Je n’ai pas hésité, j’ai foncé.

Tout se passe bien là-bas ?

À fond. J’ai rencontré le bassiste d’Alexandr London. Il m’a permis d’intégrer ce groupe, où j’occupe la fonction de finger drummer. Alexandr m’a donné toutes ses pistes pour les retravailler. Un remix a plu à CoOp, le collectif pionnier de broken beat créé dans les années 1990. Ils m’ont contacté pour intégrer Selectors Assemble, une subdivision du groupe où cohabitent plusieurs producteurs, dont moi désormais.

Après avoir créé le deepkho (NDLR : genre musical qui combine rap, deep house et broken beat) avec Grems, c’était la suite logique ?

Un rêve se réalise. Michael m’a fait écouter mon premier track de broken, « Trash The Junk » de Da One Away. Ce son m’a transporté, et si aujourd’hui je suis à Londres, c’est en quelque sorte grâce à ce dernier. Il m’avait aussi fait découvrir Afronaught et Son of Scientist, des mecs que je fréquente désormais au quotidien, ce qui est assez incroyable quand on sait d’où je viens.

Tu étais déjà très UK avant de le rencontrer ?

J’ai toujours kiffé l’uptempo, les trucs rapides et syncopés. Les sons que je jouais en set étaient très inspirés mais je ne connaissais pas encore le style. J’aimais les notes sans pouvoir mettre de nom dessus. Je ne savais pas qui créait ce groove ni d’où il venait. Mes amis n’étaient pas forcément sur la même longueur d’onde, j’étais un peu solo dans mon délire. Voir que des types comme Miki se butaient à ça m’a fait prendre conscience de l’ampleur du phénomène. En plus le mec pose dessus, c’est chanmé ! Ça m’a énormément décomplexé.

Qu’est-ce qui t’a plu à Londres ?

Ils sont en l’an 3000. À Paris, j’avais l’impression d’être musicalement incompris. J’essayais de ramener du UK garage et du 2 step en tant que DJ, mais personne ne comprenait. Ici, à peine deux heures de train plus loin, il existe une vraie scission. Les mecs ont le truc. La ville est une plateforme novatrice, avant-gardiste. Les Français, à mon sens, ne se servent pas assez de cette énergie pour approfondir leur style. Ils suivent les modes, prennent ce qui marche et font la même chose à leur sauce. Je trouve ça dommage, le succès ne correspond pas au talent et peu d’artistes sortent des sentiers battus.

Tu vis de ta passion ?

Pas du tout. À Londres, le game est implacable. Tout le milieu ou presque travaille à côté. Il faut être une grosse tête d’affiche pour ne faire que du son. Les mecs qui font des tournées le font limite à perte. Créer un réseau, entrer dans le milieu est de plus en plus compliqué. Mes mates chez Selectors Assemble ou Alexandr London sont sensiblement les mêmes. Débarquer en outsider en ne connaissant personne est impensable. J’ai eu énormément de chance pour arriver où j’en suis.

Penses-tu avoir une bonne étoile ?

Ouais, grave ! Quitter la France n’a pas été facile. Les deux premières années étaient chaotiques mais la persévérance a fini par payer. J’avais énormément de doutes, car à Paris personne ne voulait jouer mes tracks. Ici, les mecs me disent que ça défonce, je m’épanouis à fond. Je n’étais juste pas dans le bon pays.

Tu jongles facilement entre toutes tes casquettes ?

Petit, j’alternais entre musique, basket, danse, école et compagnie. Quand j’étais avec Grems, j’avais un taf, le beatbox, le rap, la production… Cette méthode me correspond. Je serai peut-être moins productif en me focalisant sur une seule chose. J’ai besoin d’être sur plusieurs projets à la fois.

Il faut être schizophrène pour collaborer avec Grems ?

Nous ne sommes jamais rassasiés. Dès qu’on finit un morceau, on ressent le besoin de passer au suivant. Nous nous surpassons pour trouver de nouveaux concepts. Quelque part, il m’a apporté cette façon d’être. Ça me rappelle une anecdote, la première scène où il m’a amené, je lui demande comment on fait au niveau des sons, il me répond : « Tu connais mes tracks, ça ira. Chante quand tu le sens ». Je me dis ouais, pourquoi pas. Finalement, il me tend le micro et me dit de lâcher un freestyle. J’étais perdu, j’avais deux pauvres textes de merde. Il m’a lancé comme ça, j’avais la haine (rires). Il m’a appris à bosser sur le vif. Aujourd’hui, je prends plus de recul. Même si ça fait quelque temps que je ne suis pas passé derrière le mic.

Tu penses reprendre bientôt ?

Ce n’est pas impossible. Je suis toujours en contact avec les Foreign Beggars, je les capte souvent sur Londres. Ils ont une chaîne YouTube, Brapp TV, une sorte de média qui connecte MCs et producteurs grime. Ils m’ont proposé de kicker sur l’instru d’un de leurs collègues, j’ai relevé le défi. J’attends que l’envie me reprenne. Pour l’instant, je n’ai pas le temps. Qui sait, je rapperais peut-être bientôt en Anglais (sourire).

Qu’écoutes-tu en ce moment ?

Pas mal de jazz. Vels Trio, Alfa Mist. J’aime les choses organiques, les instruments purs sans artifices électroniques. Du grime aussi, avec des artistes comme Maxsta ou Devlin. Quasi exclusivement de la musique anglaise, quand tu jettes un œil de plus près.

C’était déjà le cas avant de traverser la Manche ?

Oui, sans vraiment m’en rendre compte. Mais ici, j’évolue dans une sphère ou les gens que j’écoute sont aussi ceux que je côtoie. C’est très motivant !

Pas trop dur de manger comme les British ?

Les débuts étaient affreux. La bouffe africaine de ma mère me manquait. Ici, les mecs consomment bien trop gras, mais on se prend vite au jeu. Grailler plus, boire plus de bière… on s’adapte à la culture (sourire). La vie est cool, les locaux sont bienveillants. Ils vivent au jour le jour, avec moins d’appréhension. Je respecte énormément ce style de vie.

Une tournée est prévue avec Alexandr ?

L’album 2023 est en cours de finalisation, mais nous avons eu quelques soucis de presse vinyle. Notre tour européen a été reporté en conséquence. Tout devrait arriver pour l’automne. Nous devons passer par la majorité des capitales européennes. En attendant, je continue à tourner entre Londres, Paris ou Bruxelles.


Texte : Nathan Barbabianca

Crédit : Shalom Redfish

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