11 juillet, premier acte du Dour Festival. Chacun prend la route pour un monde parallèle et éphémère dont la durée n’excède jamais les cinq jours. Mehdi Maizi, lui aussi, s’apprête à vivre l’expérience belge désormais très appréciée du public français. Présentateur de La Sauce sur OKLM Radio, à la tête du podcast NoFun pour Binge Audio et programmateur hip-hop chez Deezer, nous avons profité de l’occasion pour lui poser quelques questions à la fin du concert de Lil Xan.
Explique-nous ton parcours.
Je ne suis pas passé par une filière classique du journalisme. J’ai suivi une école de commerce après un baccalauréat scientifique et une prépa HEC. Mon premier boulot ne me plaisait pas. À ce moment, j’ai intégré la rédaction de l’Abcdr du Son. C’est le premier média pour qui j’ai écrit sur le rap. Un beau jour, la plateforme Dailymotion nous a approchés pour créer une émission. On avait potentiellement un projet qui pouvait rapporter un peu d’argent, j’ai donc quitté mon taf et poursuivi jusqu’à en arriver là où j’en suis. J’ai eu l’immense chance de prendre les bonnes décisions au moment où une multitude de structures se mettaient en place.
Quels sont les premiers disques que tu as saignés ?
Je peux t’en citer deux : Première Consultation de Doc Gyneco et Ready To Die de Biggie. À l’instant où je les ai écoutés, j’ai pris conscience que le hip-hop était fait pour moi. Ce sont des albums avec lesquels j’ai grandi et que j’ai redécouverts par la suite.
Booba a-t-il joué un rôle dans ta signature sur OKLM ?
Pas du tout. La chaîne voulait une quotidienne emblématique en début de soirée. Kopp était présent pour valider le pilote de La Sauce mais il n’avait aucune idée de qui j’étais quand on s’est rencontrés.
La trap est-elle en train de s’essouffler ?
Aucun genre n’est voué à mourir, regarde le boom bap… C’est important de montrer qu’il y a une alternative au mainstream. Certains résistent, même s’ils vendent moins de disques que Niska. Tu ne peux par exemple pas enfermer un artiste comme Nekfeu dans la trap. Son univers est à la fois old school et cloud. Les styles se mélangent et finissent par se réinventer. En y réfléchissant, mettre le rap dans des cases est quelque chose de typiquement journalistique.
Un artiste doit-il privilégier la quantité à la qualité pour réussir ?
Tout dépend des rappeurs. Certains prennent leur temps quand d’autres parviennent à enchaîner les projets. La façon de consommer la musique a considérablement évolué avec l’arrivée du streaming. Les jeunes ont un libre accès à tous les nouveaux projets. Ils en écoutent un puis passent au suivant. À l’époque, il fallait acheter un CD pour l’écouter. Internet à cassé les codes. La productivité n’en est que démultipliée, et pas forcément en mal !
Quels changements as-tu observés pour la scène rap ces dernières années ?
Le plus frappant quand tu compares les concerts d’il y a 15 ans avec ceux de nos jours, c’est qu’ils sont beaucoup plus mixtes, aussi bien en matière de genre que d’origines sociales. Le rap est devenu pop, il n’appartient pas à une catégorie d’auditeurs. Que ce soit du point de vue des artistes ou du public, les gens n’ont plus de blocages vis-à-vis de ce qu’ils auraient « le droit de faire » ou non. Prends le cas de Lorenzo. Un mec comme lui n’aurait pas forcément trouvé sa place dans le milieu il y a 10 ans. On n’avait pas le droit de rire du rap à cette époque. Le titre « Le Fils Du Commissaire » de James Deano était marrant mais il lui avait aussi un peu flingué sa crédibilité. Aujourd’hui, le rap est devenu le style numéro un. Isha peut vivre de sa musique sans pour autant vendre énormément. Le streaming et les concerts suffisent. Ils comportent une évolution majeure pour la carrière des rappeurs.
C’est donc le public qui a décomplexé le rap ?
La génération, dans son ensemble. Les artistes ont les mêmes références que leurs auditeurs. Les jeunes ont autant grandi avec Britney Spears que 50 Cent. La différence était beaucoup plus marquée à mon époque. Tu avais ceux qui écoutaient du rock, du punk, du hip-hop. Désormais, les styles se cofondent. Quand un rappeur tente quelque chose, le public est prêt à entendre sa démarche. Parfois, on ne sait même plus dire si ce que l’on écoute est du rap ou pas. Ce n’est un problème que pour les médias qui galèrent à étiqueter les artistes. Il faut vivre avec son temps et accepter que PNL et IAM en font, bien que leurs styles soient diamétralement opposés.
Les producteurs sont davantage mis en avant également.
Le streaming permet aux beatmakers de profiter d’une mise en lumière non négligeable. Ils sortent beaucoup de projets solo et ce n’est que le début. Avant, les gens ne s’intéressaient pas forcément à qui produisait la musique. Les informations sont plus visibles. Des gamins de 15 ans savent qui a fait la prod de tel ou tel son, ça leur parle.
Quel est l’entretien qui t’a le plus marqué ?
Ma toute première interview pour l’Abcdr. J’ai eu l’honneur d’interroger quelqu’un que j’aime beaucoup : Dany Dan. Le cadre était parfait, nous étions en bord de Seine. Cette rencontre m’a motivé à continuer sur le chemin du journalisme rap. La discussion était très cool. Elle a permis de démystifier le rappeur. À force d’expérience, je les considère davantage comme des potes. Les meilleurs échanges ont toujours lieu quand tu partages un réel moment avec l’artiste.
As-tu des pépites à nous dévoiler pour cette rentrée ?
C’est compliqué, tout va si vite… Certains rappeurs que je ne connaissais pas il y a six mois ont quasiment percé. Dès qu’un clip marche, les maisons de disques ne sont jamais loin. Je vais quand même me mouiller et dire Green Montana, un Belge. Parier sur un artiste n’est pas facile mais il est très complet. Il écrit et chante bien. En plus, il a une bonne dégaine et sa musique est en adéquation avec ce qui se fait actuellement.
La rumeur prête que ta compagne et toi voulez financer le clip « Breaking Bad » d’Hamza…
Il s’agissait bien sûr d’une plaisanterie (sourire). Martin Vachiery m’avait demandé de poser une question au Sauce God à la fin de leur entretien pour Check. Ma femme n’aime pas le rap plus que ça mais elle avait accroché à ce morceau. Quand elle apprécie autant un son, c’est forcément un hit. Je ne voulais pas laisser ce titre mourir. J’ai donc proposé à Hamza d’en tourner le clip au Costa Rica. C’était une bonne blague. Je suis fan, mais pas au point de financer un de ses visuels (rires) !
Texte : Yza Belkalem
Crédit : Camulo James