Denzel Curry se totémise et brise les tabous

En mars 2018, Denzel Curry annonçait vouloir mettre sa carrière entre parenthèses. Épuisé physiquement et mentalement, le natif de Carol City était alors en pleine dépression. C’est finalement en quittant Miami pour Los Angeles que Zeltron a retrouvé ses forces. Il s’est changé en « Black Metal Terrorist » pour terminer TA13OO, son troisième album studio. Sorti le 27 juillet, l’opus est plus personnel que jamais. Denzel nous transporte dans ses flots dépressifs et apporte de l’espoir à toute une génération en perdition.




TA13OO est à Denzel Curry ce que la Maison Horta est à Victor Horta : son œuvre d’art totale, sa Gesamkunstwerk. Sectionné en trois axes (Light, Gray et Dark), l’album est un voyage dans la vie du gobelin de Carol City. De son enfance troublée, à l’homme mûr de 23 ans qu’il est aujourd’hui, tout y est. Ses multiples personnalités à la Split s’articulent autour de ces trois parties. Denny Cascade de Nostalgic 64, ULT Denzel de 32 Zel/Planet Shrooms et Imperial, ou encore Zeltron 6 Billion de 13, tous traversent à un moment ce nouveau projet des plus introspectifs pour nous dévoiler un chapitre du livre. À base d’expériences personnelles et de confidences de proches, Curry s’adresse à une jeunesse en pleine crise d’identité.

Les axes et les tracks sont tous différents, ce qui n’enlève rien à la cohérence de TA13OO. Que ce soit sur des instrus g-funk ou pop, comme sur « Cash Maniac » ou « Black Balloons », ou sur des gros bangers comme « Sumo » ou « Super Saiyan Superman », Denzel découpe comme Washington dans American Gangster. Il s’appuie sur des flows sortis tout droit du dirty south, des dégueulements à la Lemmy Kilmister, mais aussi de mélodies chantées. Preuve que l’album est aussi l’illustration de l’incroyable polyvalence du Florida Boy.

« Welcome to the darkest side of TA13OO »

L’album débute avec la lumière, la partie Light. Sous des apparences de légèreté, notamment renforcées par les productions colorées de FNZ, Mickey De Grand IV, M-Sol et DJ Swish, il s’agit en réalité de l’axe le plus sombre. Le temps des cicatrices creusées à la pioche dans l’épiderme. Dans « Taboo », ouverture du projet, Curry chantonne avec une voix apaisée et rassurante. Il s’adresse à un enfant victime d’abus sexuels et lui propose son épaule réconfortante, pour qu’il puisse y reposer sa tête lourde de traumas et pleurer. À travers ce garçon, nous pouvons reconnaître le jeune Denzel, lui aussi abusé à l’âge de cinq ans et donc tourmenté par différents tabous. Cette anxiété, ce tabou d’abord ignoré, va planer tout au long de TA13OO. Comme dans It de Stephen King, elle va se matérialiser en « Black Balloons », que Denzel, Goldlink et Twelve’Len vont laisser flotter dans les airs.

Parallèlement, Zeltron grandit et atteint le succès dans son art, le rap. 32 Zel/Planet Shrooms puis Imperial le propulsent sous le feu des projecteurs. L’oseille arrive en escalator chez lui et Denzel empile les liasses. Ses poches sont aussi grosses que Rikishi. Mais ce succès ne le rend pas heureux, et cela se sent particulièrement dans « Sumo ». Un fou track complètement foutraque dans lequel le 2016 XXL Freshman balance que l’argent est comme une tumeur dans son cerveau. Curry y semble totalement possédé. Une folie provoquée par la gloire, le blé et cette anxiété palpable.

Plus on avance dans les morceaux, plus les couleurs s’obscurcissent, et plus on s’enfonce dans la dépression. Denzel Curry est gris, malade et son entourage menaçant. Ses changements d’humeur chroniques se multiplient. Il perd la tête jusqu’à rapper « What is going on with me ? » dans « Switch It Up », piste complètement bipolaire et paranoïde. Cette bipolarité est aussi renforcée par la versatilité des voix qu’il utilise, et par le changement de beat sur « Mad I Got It », titre dans lequel il parle des personnes qui ne le considèrent plus comme authentique. Un son marqué par un hommage subtil à son ami X : « Still in the hood and I still sip tea ».

L’apogée de cette descente aux enfers est bien sûr « Clout Cobain ». Rongé par la pression et l’anxiété, l’artiste pense mettre fin à ses jours. Il y critique tout un système. Notamment les fans déconnectés qui exigent toujours plus sans se soucier de la réalité, de l’homme, et rient au nez de ses pensées suicidaires, vues comme du divertissement. Il y dénonce aussi l’industrie, qui considère les artistes comme des produits et les exploite jusqu’à leur dernier souffle.

L’espoir dans l’obscurité

Bien qu’intitulée Dark, la troisième partie est sans doute la plus positive. Certes, les productions de FNZ, Mickey De Grand IV et Ronny J sont des plus agressives. Certes Denzel, ultra violent, vomit ses pensées meurtrières aux côtés de Jpegmafia et ZillaKami sur « Vengeance ». Mais c’est aussi à ce moment que Zeltron se libère de la dépression et choisit de vivre la vie qu’il veut sans se soucier d’aller au paradis ou sur les terres de Lucifer. Il reste trill et ne suit jamais la tendance : « Eight years in the game and I never rode a wave » rappelle-t-il dans « Percs ». Un morceau dans lequel il entend changer le rap game et ses pans les plus sombres, à savoir la quête aliénée de l’attention et la culture des analgésiques. Pour lui, rien n’a changé depuis la mort de Lil Peep et Mac Miller. Les rappeurs populaires, toujours plus weird, font encore l’apologie de l’alprazolam et de ses dérivés. Curry, lui, est maintenant clean. Il n’a plus besoin de substances pour se sentir libre. Il est devenu le « Black Metal Terrorist ». Il a brisé les tabous et les a envoyés brûler en enfer pour éclairer une jeunesse perdue.


Texte : Arthur Duquesne

Crédit : Maude Jonvaux

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