Freeze Corleone, proviseur de la nouvelle école

Entouré d’un mystère grandissant à la même vitesse que sa popularité, Freeze Corleone ne donnait plus signe de vie en solo depuis 2017, année où sortait son quatrième projet T.H.C. Les adeptes de sa secte, pourtant habitués à leur obscur gourou, commençaient à se demander sous quelle forme il allait revenir. Après une apparition aux côtés de certains membres du 667 et de Lyonzon en septembre sur « 669 », un post imprévu annonçait début novembre la sortie du Projet Blue Beam pour la semaine suivante. Un retour aussi compliqué qu’attendu, engendré par une communication basée sur l’absence.




Fondateur du 667 (un collectif secret réparti sur plusieurs continents), Freeze Corleone et sa secte sont les instigateurs d’un nouveau style. Oscillant entre le Sénégal et la France, Freeze aka Chen Zen est imprégné de la trap de Chicago à Atlanta. Ce savoir rapologique lui a toujours donné un temps d’avance sur le game. Le 13 novembre, date des attentats de 2015 à Paris, nos plateformes de streaming bénéficiaient de son premier album à proprement parler. Pour la production du projet, l’artiste s’est entouré en majeure partie de ses fidèles collaborateurs Ocho, Flem et Congo Bill. Il a également apporté son grain de sel aux sonorités de quatre titres sous le pseudo M.O.I.

Une technique implacable

Au-delà d’être un rappeur énigmatique, le Prof Chen détient depuis toujours une grande maîtrise de l’écriture. Il est doté d’une plume aiguisée utilisée à merveille tout au long de ces 11 nouveaux titres. Les rimes ne sont pas riches, mais millionnaires et les comparaisons picturales. Cette finesse d’écriture couplée à un lexique très particulier est certainement incompréhensible pour beaucoup, mais une fois son univers saisi, la satisfaction envahit l’auditeur. Ses qualités techniques ahurissantes sont, par exemple, exploitées pendant 3 minutes sur le boom bap modernisé de « LRH ». La trap reste sa discipline favorite. Il y enchaîne les punchlines à une vitesse folle. Elles sont parfois drôles, souvent inquiétantes.

Les thèmes abordés par Freeze le démarquent encore davantage. Projet Blue Beam fait écho à un potentiel projet de la NASA ayant pour but de contrôler la population avec les hologrammes. Le géant américain profiterait de technologies inédites pour créer l’apparition simultanée sur l’intégralité de la planète d’un nouveau Dieu (l’Antéchrist) capable de parler toutes les langues. Il imposerait alors une religion globale et installerait un nouvel âge.

Rap conscience

Le rappeur a sorti son disque le 13 novembre de manière symbolique. Certains n’y verront que de la pure provocation. Freeze Corleone cherche pourtant à amener son public plus loin qu’au stade de la simple représentation de ses textes en le poussant à réfléchir. Sa vie lui a permis de réaliser la violence qu’ont pu et peuvent encore avoir certains pays occidentaux en Afrique. Un sentiment qui l’amène à s/o des massacres à de nombreuses reprises sur le projet. Ce discours brut montre sa volonté de marquer les esprits, là où de simples allusions n’auraient pas suffi pour délivrer son message.

La démarche atteint son paroxysme dans « Sacrifice de Masse » avec Osirus Jack, autre membre du 667. Un morceau dans lequel sont abordées pêle-mêle toutes les théories du complot imaginables dans un outro machiavélique. Malgré cette récurrence des propos conspirationnistes, les références que Darth Chen utilise permettent de dissiper l’épais brouillard qui l’entoure. La précision de ses lyrics nous révèle un artiste bercé par internet et la pop culture. Le football, la politique, les jeux vidéos et les mangas font partie de son paysage culturel avec « Donquixote Doflamingo ». La drogue, souvent mentionnée, est une composante essentielle de son art, mais le speech autour de celle-ci relève plutôt d’une facilité d’écriture et sert à garnir ses textes.

Proviseur Chen nous livre un album dans le prolongement de ses deux derniers opus. Cependant, une couleur différente se dégage du Projet Blue Beam. Freeze Corleone est arrivé au sommet de son art. Percer n’est plus un objectif. Aussi, bien qu’étant pratiquement indéchiffrable, il se dévoile indirectement. Cette avalanche de références n’est qu’un motif pour exposer son opinion sur le Monde. Le discours n’est pas édulcoré. La forme est impeccable, le fond engagé. La recette d’un album ancré dans sa génération et prêt à influencer les prochaines.


Texte : Ugo Margolis

Crédit : PIĒGE Studios / DR ©

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