Le 22 février dernier sonnait le début d’une longue nuit, sombre et pleine et de terreur. Invisible depuis presque trois ans, Night Lovell a ressurgi des tréfonds avec GOODNIGHT LOVELL. Un retour aussi inattendu que réussi pour le rappeur d’Ottawa qui livre un album ténébreux, une véritable ode à l’obscurité dans un style toujours aussi funeste. Au bout du compte, un Night King pourrait quand même finir sur le trône en 2019.
On avait presque oublié l’existence de Night Lovell. Ancienne étoile montante du sprint au lycée, le jeune homme de 22 ans avait déboulé à toute allure dans le rap game. Phénomène de précocité, l’énigmatique Shemar Paul explosait aux yeux du monde en 2014 avec la mixtape Concept Vague qui posait les bases de son univers obscur. Mystérieux, le rappeur canadien dévoilait une palette atypique combinant des instrus électro agressives à une voix d’une profondeur abyssale. Son deuxième projet Red Teenage Melody en 2016 avait remis l’eau à la bouche de son public, mais Night Lo a coupé les vannes si longtemps depuis que l’on pensait la source tarie. Il aura fallu attendre plus de deux ans jusqu’à ce message posté sur les réseaux fin 2018 annonçant le retour du Night King pour ce 22 février, mettant fin au long jeun de ses adeptes.
Le somnambule
GOODNIGHT LOVELL sort tout droit des ténèbres, et ça se voit dès la pochette qui illustre le rappeur sous la forme d’un squelette lugubre. Composé de 18 titres aussi noirs les uns que les autres, l’album s’apparente à un registre d’incantations occultes, presque à un film d’épouvante. Night Lovell est un enfant de l’ombre, un noctambule qui ne trouve l’inspiration que lorsque la lumière du jour s’efface. Son ennemi naturel est le soleil, il exprime d’ailleurs son aversion pour l’astre à travers le morceau « The Sun ». L’influence de l’obscurité est palpable à travers toutes les productions de l’opus. Le Canadien y dévoile son spleen et sa violence à l’aide de sa voix grave, tel un monstre mélancolique.
Dès le début du projet, Devil Baby James nous plonge dans une ambiance inquiétante avec « Mary Jane ». Loin d’un hommage à la dame verte, ce titre ne ferait pas tache dans un film de Wes Craven. Cris stridents, coups de feu et hurlements de loups viennent accompagner les grosses basses et le chuchotement rauque de Night Lo, le tout pour former un banger horrifique.
Si la nuit est souvent associée à la terreur, Shemar Paul l’a bien compris. Il en va de même pour son acolyte Ginseng, le beatmaker qui a fourni presque tout le minerai nécessaire à la création de l’album. Les deux compères n’hésitent pas à envelopper certains morceaux d’une atmosphère qui dévie vers le gore ou le glauque, comme le violent à souhait « Murder Rate ». C’est aussi le cas sur « Watch Me » ou encore sur « Sinister ». Dans le même registre funèbre on retrouve « I Like Blood », sur lequel Lovell initie Wifisfuneral au goût de l’hémoglobine. Même mode opératoire, mêmes armes du crime : une voix plus profonde que la fosse des Mariannes et un flow simple caractéristiquement étiré sur la dernière syllabe. Une méthode poussée à son extrême simplicité dans le très perché « Unknown Location Interlude ». S’il se rapproche du horrorcore, comme dans « Joan Of Arc » aux côtés des $uicideBoy$, ce style obscur presque dépressif semble exclusif au démon d’Ottawa.
Night Lovell met également en image sa quête sordide dans « Bad Kid », seul track clippé à ce jour. En apothéose d’une trame générale pesante, on le trouve dans une maison en feu affublée d’un écriteau « GOODNIGHT LOVELL ». Entre les flammes, il fait face au squelette de la pochette, qui personnifie l’être dénué de sentiments qu’il vise à devenir à la fin de cette longue nuit.
Douleur momentanée, tristesse éternelle
Devil Baby James entretient un rapport spécial avec la douleur. Elle semble autant le détruire que le nourrir. Il parle d’elle presque comme d’une conjointe. Un rapport nuancé qu’il présente dans le bien nommé « Pain ». Lovell y expie sa douleur sur le beat, peut-être le seul endroit assez large pour ça. Il le dit lui-même : « I don’t got no place to put this pain ».
En parcourant l’album de l’artiste, on comprend peu à peu ce qui lui procure des pensées si sinistres. Outre son argent qu’il évoque dans « Where’s My Money ? », ou l’environnement violent qu’il décrit la plupart du temps, on remarque que Lovell parle avec récurrence de la gent féminine. Il semblerait que Shemar Paul ait quelques problèmes avec le sexe opposé, responsable selon lui de bien des malheurs. Ce sont elles les « Pink Witch » qui l’ensorcellent par de simples regards, de simples danses. La relation qu’entretient le Bad Kid avec les femmes est de nature destructrice, elle n’a de cesse de le tirer vers les méandres de la dépression. Un désespoir poussé au paroxysme dans le morceau « Let Me Die », titre pour le moins explicite et l’un des plus sombres de l’album. Night Lo y fait part de son dégoût pour le monde qui l’entoure et supplie pour qu’on le laisse partir. Mais parfois, il arrive que l’ancien sprinteur se mette à courir derrière les femmes. Il se transforme même en Night Lover sur les morceaux « Please Don’t Go » et « Can’t Lose You ». Attention, on parle certes de chansons d’amour… mais à la sauce Night Lovell. Il défend d’ailleurs quiconque de s’attacher à lui dans « Bumble Bee », car il butine de fleur en fleur comme une abeille.
Le pari est réussi pour Night Lovell qui souhaitait faire de cet album une dark story. L’idée est aboutie, même si on peut regretter une petite redondance entre plusieurs morceaux. Un fil rouge qui empêche la démarcation d’un gros hit en particulier, comme « Dark Light » ou « Contraband » sur ses précédents projets. Certains y verront un moyen de cultiver son univers atypique, d’autres de la monotonie. Malgré ça, GOODNIGHT LOVELL tient ses promesses. C’est une œuvre diaphane, une sombre partition qui oscille entre des bangers donnant envie de vendre son âme au diable et des sons plus deep emplis de douleur. Shemar Paul entretient son culte de la noirceur jusqu’à la perte de son humanité, pour finalement devenir le ténébreux squelette présent sur sa pochette.
Texte : Martin Muller
Crédit : DR ©