Exilé à Genève depuis 2014, DeWolph est venu apporter une touche britannique à l’auberge espagnole du rap qu’est la SuperWak Clique. Après un sombre et personnel premier EP Hours, le Fatman Blue se détend et expérimente diverses sensations dans Peep Show. Au fond du strip club avec ses gars, ils examinent la nouvelle capitale du rap suisse sous toutes ses coutures.
Comme souvent en Suisse, derrière les belles façades lustrées se cachent des choses un peu plus obscures. Au-delà des beaux quartiers du centre de Genève, dans les ruelles sombres de la ville, on trouve depuis le 20 avril un peep-show peuplé d’étranges créatures. Entre les danseuses, les billets, les néons, les bouteilles et les magouilles, on peut apercevoir DeWolph entouré de sa clique. Trapu, chauve, et muni d’une imposante barbe rousse, le natif de Bradford ressemble un peu à une version moderne de Ragnar Lodbrok sapé façon british. En 2014, il met les voiles de l’Albion pour débarquer dans une Genève en plein rap boom. Très vite, il ajoute une nouvelle nationalité à la collection de la multiculturelle SuperWak Clique et découvre toute une effervescence créatrice.
Le cabinet de curiosité
Le Peep Show du Fatman Blue est un spectacle d’une grande diversité. D’un numéro à l’autre, les rythmes, formes et couleurs changent… Entre ses bases britanniques et ses nouveaux acquis du continent, DeWolph est capable de manier sa voix rauque sur toute une palette d’instrus. Dans ce projet, les influences se bousculent au point de s’entremêler.
L’intro « Undergrime » nous téléporte dans l’Angleterre des années 2000, à l’ère des Dizzee Rascal, Lethal Bizzle, Wiley, et autres piliers du genre. Un morceau purement grime dans lequel l’expatrié pose avec violence à l’aide d’un flow étouffant. On l’imagine sans problème en freestyle chez Tim Westwood ou sur BBC 1XTRA. Dans ce style à l’accent bien particulier, le loup rappelle immédiatement d’où il vient.
Après avoir posé dans la sombre ruelle qui jouxte la sortie de secours, DeWolph entre vraiment dans le Peep Show aux côtés de Varnish la Piscine. La connexion donne « For All the Roxanes », un ovni hyper groovy sur une instru spatiale du Pink Flamingo. On visualise aisément le club se déhancher sur la voix basse de Icey – un de ses multiples aka – qui déroule dans une ambiance presque G-funk. Après tout, le jeune loup a découvert le rap en partie à travers les productions de Jazzy Jeff…
On repasse direct de l’autre côté de l’Atlantique avec « P.I.M.P », track UK garage rythmé et ensoleillé. Toutes les particularités du genre se ressentent sur la prod de Klench Poko : basses rapides, compléments sonores et utilisation judicieuse du hi-hat. On pourrait presque croire que Preditah se cache derrière la compo. Le Fatman Blue est capable de tenir la note et s’aventurer hors de ses bases sur des textes plus chantés qu’à son habitude. Un exercice également maîtrisé sur « Da$h », titre aux ascendants cloud rap dans lequel l’artiste fait voler les billets.
On l’a dit, l’Anglais possède une aisance à alterner les flows, et il le démontre encore avec « Seizure ». Sur ce morceau trap oppressant, il découpe jusqu’à la limite autorisée par la convention de sa ville d’accueil, pour conclure en apothéose sur un court mais puissant refrain mélodieux. Une polyvalence qui lui permet d’effectuer des escapades sur des prods audacieuses, comme celle concoctée par Nnnurrah pour « College Dropout ». Un morceau assez fou qui commence par un rythme saccadé qui rappelle des bruitages de Game Boy et qui opère ensuite un virage total vers une composition old school à l’aide d’un synthé et d’un piano. Il le dit lui-même : « I got this, I got that, I got everything ».
SuperWolph Clique
Si l’homme est un loup pour l’homme, DeWolph lui est de ceux qui préfèrent fonctionner en meute. Il est loin d’être seul dans le Peep Show. Au contraire, ses gars en arpentent tous les recoins ! La SuperWak Clique porte haut son étendard à travers le projet de son ressortissant anglais, avec pas moins de quatre collaborations : Di-Meh est le premier à intervenir dans le spectacle sur le frénétique « Talk About », suivi de Varnish sur « For All the Roxanes » et Slimka sur le morceau « P.I.M.P ». On retrouve aussi Mairo, venu kicker fort sur « Swift », un banger à la trap saturée qui fait vibrer les tympans.
Plus que l’alchimie entre les membres du crew, c’est toute la cohésion de la scène genevoise qui s’exprime à travers l’EP du surnommé Boy Junior Fresh. L’autre collectif majeur de la ville, Rive Magenta, y apporte une contribution non négligeable. La majorité des morceaux sont produits par Klench Poko. Son acolyte Moe D’Amour se sent à merveille sur le remuant « Red Beam », aux sonorités ragga dancehall.
Ce n’est pas une surprise, car Icey avait déjà été l’instigateur d’une collaboration resserrée entre les deux bandes. En 2017, lui et Sawmal avaient connecté leurs gangs respectifs sur l’album commun The Adventures of Huile Smith & FatMan Blue : SUPERMAGENTA. Le collectif Ozadya est aussi représenté par l’intermédiaire du producteur Nnnurah, qui avait déjà collaboré sur Focus avec Di-Meh. Au-delà des meutes, il faut souligner la contribution de quelques loups solitaires genevois : Idris Makazu sur l’intro, ainsi que Yukii et Jeune Lid qui livrent ensemble la prod de « Da$h ».
Même s’il prend lieu en Suisse, le Peep Show est une production internationale : son hôte a invité le français Gracy Hopkins, mais aussi des camarades de l’école britannique. Nicky Bloom et Jatzdakid viennent tout droit de Londres pour s’associer à leur compatriote sur « STR8 » et « Swift ». C’est simple, sur les 10 morceaux qui composent le projet, sept sont des featurings. Et même quand il officie en solo, ses acolytes ne sont pas bien loin, comme on peut le voir dans le clip de « Seizure ».
On attendait DeWolph au tournant pour ce second projet, et le moins que l’on puisse dire est qu’il n’a pas déçu. Le Fatman Blue a pris des risques afin de monter un show d’une grande richesse. Fédérateur dans une fédération qui parfois en manque cruellement, Icey partage l’affiche du spectacle et accorde une place de choix à ses convives. Si cet EP se place sous le signe de la diversité musicale, il est aussi habité par un esprit d’unité qui caractérise la troupe genevoise. Au cœur de la nuit, sous les halos de lumière pourpre du Peep Show, tout le monde finit par trouver son bonheur avant que les rideaux ne s’abaissent.
Texte : Martin Muller
Crédit : Justine Stella Knuchel