Mohan, un tigre sur Neptune

Mohan n’a jamais hésité à sortir de sa zone de confort. Après avoir inondé l’underground de projets ambitieux et innovants, le rappeur/producteur continue sur sa lancée avec Iceberg, sorti en avril dernier. Il y reste fidèle à ses principes en explorant une palette large de mélodies, toutes enveloppées dans un symbolisme bien défini.




Mohan est un rappeur et producteur bordelais qui sévit depuis de nombreuses années sur la scène SoundCloud francophone. Sa principale force a toujours été d’aller chercher le contre-pied de ce qui se faisait en surface dans le monde de la musique. Trouver de nouvelles sonorités, explorer les flows, sampler l’insamplable… Une particularité qui n’est due qu’à sa passion, son amour pour la musique et la culture rap au sens le plus large du terme. De retour d’une escapade intergalactique après le LP Millenium l’an passé, le tigre blanc pose son vaisseau sur les terres gelées de Neptune et contemple la vue du haut d’un Iceberg.

À des années-lumière

Iceberg est le huitième projet de Mohan. Un LP rempli de symbolisme si l’on ose s’aventurer dans les contrées glaciales de la planète Neptune – dont il se revendique. Cette dernière est la huitième et la plus éloignée du système solaire, comme un clin d’œil à la position de l’artiste, qui parfait son style en marge de la norme et propose des mélodies inédites tout au long des 13 titres qui composent cet opus.

L’intro ne laisse aucune place au doute. « Fairité » traduit le monde parallèle où Mohan vit et s’inspire. Une réalité féérique dans laquelle l’artiste invite son pote Brun$ki à découper une prod futuriste mêlant des vibes trap, house et eurodance. Un choix intéressant pour l’ouverture du projet, et dont l’ambiance interstellaire n’a de cesse d’évoluer au fur et à mesure que les morceaux passent. Le « Glacier Boi » fait peu à peu surface et dévoile ses atouts jusqu’alors enfouis plusieurs lieues sous la surface de la planète bleue.

Si l’album de Mohan s’appelle Iceberg, en dehors de toute l’imagerie associée au drip, c’est aussi car le rappeur a du coffre et qu’il faudra se munir de patience et s’y intéresser pour cerner sa partie émergée. Au-delà du ton général apporté par les prods, le Bordelais se démarque par la complémentarité de ses flows. Pour lui, rimer efficacement n’est qu’une formalité. Dans la mythologie romaine, Neptune était le dieu des océans. Le rappeur semble en être un descendant direct, maîtrisant à la fois les flots et la glace comme Sub-Zero, à l’image de « Hautes Sphères Pt. II » en feat avec YPM. Ses ambitions ont toujours été claires : divertir son audience et rester fidèle à sa musique. Il se définit lui-même comme un « Entertainer Deluxe », un pari qui implique de prendre des risques à chaque son et de n’écouter que son cœur.

Neptunien

Pour ajouter une touche supplémentaire à l’univers construit autour de Neptune, il faut aborder l’admiration que porte Mohan pour Pharrell Williams. Le membre de N.E.R.D est l’une de ses principales sources d’inspiration. Il le suit depuis la première heure, bien avant que le grand public ne le découvre avec « Happy ». On parle ici plutôt de celui qui a fait vriller les cerveaux autant par ses titres personnels, que par des productions pour d’autres artistes. Un culte poursuivi jusque dans les sapes japonaises qu’a l’habitude de porter Skateboard P depuis les années 2000. Le tigre blanc le précise dans « Neptunien Pt. III », sur un beat qu’il avait composé sept ans auparavant : « J’portais déjà des Bapesta il y a plus de 10 ans, aujourd’hui les kids trouvent ça ahurissant. »

Mohan est donc Neptunien avant tout en référence à The Neptunes, groupe composé de Pharrell et Chad Hugo. C’est dans les projets de son idole qu’il a construit sa sensibilité musicale et a appris à chercher son inspiration la plus profonde, jusqu’à devenir un producteur redoutable. La grande majorité des instrus d’Iceberg sont autoproduites. Une particularité qui se ressent et permet à l’artiste d’amener ses textes là où il le souhaite, et de leur apporter un relief non négligeable. C’est le cas sur « À L’Aise », où le rappeur déroule sur des sonorités riches et raffinées dont il a le secret. Sa recherche de l’équation parfaite est exigeante et satisfaisante à la fois. Autre morceau phare de la tape, le hook de « WeFlyHigh2k18 » est directement emprunté à Jim Jones. La ligne de basse grasse et le sample aux tons orientaux tout droit tiré du jeu Sonic sur Megadrive alignent les astres et signent un titre intense. Ce dernier ne manque pas d’épingler l’influence qu’ont les BO de jeux vidéo et de films dans sa façon de trouver l’élément clé d’un morceau.

Autre figure forte et formatrice pour le rappeur, le patron du label 1017 et pape de la trap Gucci Mane. Ce n’est pas un hasard si l’un des alias de Mohan est Laflare, en hommage au guru à la glace tatouée sur le visage. Guwop dit dans « Millions » – de Z Money, en feat avec Hoodrich Pablo Juan – vouloir faire de ses gars des CEO indépendants. On ressent cette volonté chez Mohan, qui invite ses homies et les met en avant sans manger leur clout.

Sur les 13 titres, sept sont des featurings. Le tigre blanc a convié la scène bordelaise sur sa planète avec des apparitions remarquées d’Exoslayer, Brun$ki et YPM. Le point commun entre ces derniers et les autres artistes présents sur Iceberg est qu’ils gravitent tous autour de l’univers installé par son hôte et plus généralement propre au cloud rap. On pourra ainsi voyager dans la voie lactée en compagnie de Yung Nodjok sur « Interstellaire » ou tenter de déchiffrer la recette dans « Le Labo » avec Ze6ruh. Le LP se finit sous la tempête. L’horizon devient trouble sous le « Déluge » occasionné par le rappeur et son acolyte Prost, comme pour brouiller les pistes et la direction prise par l’artiste au moment de mettre fin à son escale.

Mohan est un artiste complet qui n’a besoin de rien ni personne pour se réaliser. Complètement autodidacte, sa débrouillardise et ses diverses influences lui ont permis de s’affranchir de la masse et de proposer des sonorités toujours plus poussées. Le tigre blanc fait du son par plaisir, au coût peut-être d’une plus grande notoriété. Un aspect qui relève de l’anecdotique quand on regarde les projets accumulés et la patte particulière qu’il a su leur apporter. Iceberg est à ajouter à la liste. Doux tout en gardant un côté incisif, il positionne l’artiste comme l’un des nombreux piliers de l’underground. Son succès est ailleurs, et y restera tant que le principal concerné n’en aura pas décidé autrement.


Texte : Nathan Barbabianca

Crédit : Mohan

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