Depuis la sortie de Gun Love Fiction, Makala et Varnish ont laissé derrière eux leur communauté d’adeptes. Les frères de la piscine ont attendu la révélation divine pendant deux ans pour traduire leurs visions au commun des mortels. Makala devient prophète dans Radio Suicide, son premier album studio, sorti le 21 juin dernier. De retour vers ses fidèles, il signe un projet intemporel marqué par un univers métaphorique puissant.
Les prophètes de la piscine renfilent leurs toges pour prêcher la bonne musique deux ans après Gun Love Fiction. Fin juin, Radio Suicide se dévoile aux yeux du monde. 21 morceaux, uniquement produits par Varnish. Suffisant pour que Makala y refasse un monde allégorique composé de paillettes et de néons. L’album est un recueil de paraboles aux références modernes que le Messie helvète comte avec toute sa prestance.
Le charisme en personne
Définir Radio Suicide le dénuerait de son sens. L’album nous balade entre fiction et réalité par le biais d’univers à chaque fois différents. Contexte qui permet au Big Boy Mak d’incarner son propre égo, comme Jésus incarne l’esprit sain. Son assurance mise au service des textes lui permet de raconter n’importe quelle histoire sans jamais perdre en crédibilité. Il annonce dans « Liberty » qu’il deviendra président et on finit presque par y croire. Le storytelling se mêle constamment à l’égotrip et aux flows les plus démentiels, trois arts martiaux qu’il maîtrise comme un dixième dan. Ce qui lui permet de se rendre dans toutes sortes de paysages subtilement décrits et d’être le héros de stories ahurissantes. On passe d’une ride en Cadillac Eldorado sur « Hit Machine » avec Ike Ortiz, à une partie de tennis sur gazon chez « McEnroe ». Sur des sons groovy comme « Chic » ou intense comme « Bankable », son attitude nous transporte avec lui et nous convainc de continuer à le suivre.
Son aura biblique fait vivre ses textes, on ressent l’acting même sans visuel. Ce stade atteint, le XTRM boy peut tout se permettre, rien ne sonnera faux. Il ose les clins d’œil aux années 2000 en sublimant l’air de Britney Spears dans « Toxic » ou celui de « Satisfaction » de Benny Benassi. Son usage de l’autotune est fin et maîtrisé. Il fait taire ceux pour qui il s’agit d’un gadget de mauvais chanteur. La confiance en soi est au maximum, des rythmiques inédites se multiplient comme les pains, et les textes sont rafraîchissants : le rappeur est dans sa forme finale. Il survole avec aisance le commun des mortels, si haut qu’il ne featera avec personne d’inférieur, pas même son fils, comme il le répète dans « Margaret Dry ». Dim Mak n’est pas seul en haut. Jésus est surhomme grâce à l’intervention du divin, Makala grâce à celle d’un archange du clavier.
Varnish, la substance essentielle
Varnish est le deuxième frère de la piscine. Un prodige du logiciel qui réalise, en musique, les prophéties du Christ genevois. Le beatmaker suisse a le don de transformer le son en image. Il avait déjà fait ses armes avec Le Regard Qui Tue, un film auditif sorti plus tôt dans l’année. Si Makala est l’acteur, Pink Flamingo est le réalisateur. Ses prods aux inspirations universelles nous plongent dans des dimensions tarantinesques. Dans le même morceau, il arrive de passer d’une scène d’action d’un film d’espionnage à la plus grande pool party d’Hollywood remplie de modèles en monokini. Son univers est ancré entre les années 50 et aujourd’hui, à la croisée de Sly & The Family Stone, N.E.R.D et Tyler The Creator. Les synthés sentent le blouson en cuir et les boules à facettes.
Additionnée à un sens du détail très pointu, une musicalité indéfinissable se dégage des 21 titres. La modernité rencontre le disco et le funk des années 70 au studio du Colors Label, comme le transcrit parfaitement l’« Outro » du projet. Malgré la densité des beats, le flamant rose parvient à laisser de l’espace à son prochain. L’alchimie du duo est criante, à tel point que l’album n’est pas simplement celui de Makala. Varnish en trace les contours et organise les versets. Les instrus, tantôt wavy, tantôt musclées, se suivent, ponctuées par des ponts qui sortent de l’ordinaire. Leurs humeurs s’enchaînent et ne se ressemblent pas. L’album est lunatique et peut sembler décousu pour certains hérétiques. Il est essentiel de l’écouter religieusement dans son entièreté pour y trouver sa logique. Comprendre ce projet aide à se connaître, une finalité vers laquelle le Mak nous conduit.
Radio Suicide est une œuvre hors du temps qui nous transporte par son originalité. Une leçon de charisme est donnée par Makala qui assume sa supériorité tout en restant au même niveau que nous. Comme un guide, il métaphorise sa vie pour qu’on en tire des enseignements. Varnish parfait cette direction artistique avec sa patte disco/funk moderne et sa technique implacable. La variété de titres balaye de multiples genres et évoque toutes sortes d’histoires sans nous perdre. Les fidèles du Suisse le savent : cet album est comme une Bible, il contient tout.
Texte : Ugo Margolis
Pics : DISSIDENCE Production