slowthai, la grande (working) classe

Dans son ouvrage Jérusalem, Alan Moore, aussi connu pour ses scénarios de bandes dessinées (Watchmen, V pour Vendetta), écrit que sa ville de Northampton, située au nord de Londres, est le centre de la Grande-Bretagne, voire du globe. Si placer NN au centre de l’univers peut être considéré comme excessif pour certains, une chose est sûre, Northampton est désormais bien visible sur la map monde du rap jeu. Un dénommé slowthai en est à l’origine.




Quelques jours avant la sortie de son premier album intitulé Nothing Great About Britain en mai dernier, slowthai a posté une vidéo sur Twitter dans laquelle il marche dans une rue de Northampton. À ses côtés avance Alan Moore, écrivain et enfant du punk. Le ciel est gris, le rouge des briques est fatigué et la rue déserte. Dans cette courte déambulation d’une minute, Tyron Kaymone Frampton de son vrai nom, rappe acappella un couplet du track éponyme « Nothing Great About Britain ». Regard menaçant, flow aiguisé, paroles acerbes et accent des Midlands à couper au couteau, le jeune homme de 24 ans conclut sa violente diatribe contre la Grande-Bretagne par : « Hand on my heart, I swear I’m proud to be British. » Bien que révolté par la politique des Boris Johnson et autres Theresa May et par la crise que traverse son pays, slowthai est fier d’être Britannique.

Un message inclusif

Crâne rasé, tatouages épars sur le torse et brandissant régulièrement son Union Jack géant sur scène, l’imagerie de Tyron pourrait s’apparenter à celle d’un nationaliste de l’English Defense League. Pourtant, l’autoproclamé Brexit Bandit est d’origine barbadienne de par sa mère et son message est résolument inclusif et pacifique. À la manière d’Alan Moore, du cinéaste Ken Loach ou du groupe Sleaford Mods, slowthai dépeint la working class anglaise. Il voit bien plus la grandeur de son pays dans le lien social qui se tisse entre les individus que dans une institution impérialiste aussi dépassée que la monarchie. Aussi, il lâche allègrement des « fuck the Queen » lors de ses concerts et traite Elizabeth II de « cunt » dans « Nothing Great About Britain ».

À travers ses textes posés sur les instrus de Kwes Darko, Ty parle pour les personnes oubliées, les communautés abandonnées et plus généralement ceux qui luttent pour survivre dans cette société prédatrice. Ses paroles composent un véritable récit autobiographique. Dans le touchant « Northampton’s Child », slowthai rappe qu’il nait alors que sa mère n’a que 16 ans. Sa sœur suit l’année suivante et leur père s’en va, laissant ainsi une femme seule avec deux enfants en bas âge. Cette éducation monoparentale va renforcer l’admiration de l’artiste pour sa mère, qui est littéralement son idole, sa seule reine. C’est en partie parce qu’il a grandi entouré de filles qu’il a développé une défiance envers la masculinité toxique. Une défiance illustrée dans le morceau « Ladies », qui est un hommage aux femmes. Dans le clip, slowthai est nu et enlace son amie Betty, elle habillée. Une image qui rappelle grandement la photo de couverture du magazine Rolling Stone avec John Lennon et Yoko Ono.

Working class

Avec sa famille, Ty vit à Lings, Northampton Est. Ici, les gens sont pauvres. Ils ont des emplois précaires, font des aller-retours en taule, ou plongent dans la drogue, comme le beau-père de Tyron, qu’il aimerait tabasser jusqu’à ce que ses mains en deviennent bleues. Dans le clip de « Toaster », slowthai, très ému, visite son ancienne maison et se remémore son enfance. Il raconte plusieurs histoires, comme celle de cette télévision prêtée sur gage qui marchait une fois sur deux, ou celle de cet étang qui n’a jamais vu le jour dans le jardin. Ces anecdotes constituent la vraie force de la musique de slowthai. Il les raconte avec une ironie subtile qui les rend tristement drôles et évocatrices. Son humour est noir et s’il parvient à faire sourire les gens, il considère qu’il a réussi à faire passer son message.

Dans le track « Slow Down » issu de la mixtape RUNT de 2018, le rappeur se souvient d’un Noël où la chaudière avait lâché. Sur sa liste de cadeaux, il avait demandé à avoir le chauffage, « cuz we’re cold as shit », raconte-t-il. Dépité, il se rappelle également interpeller Santa : « Why’s my life this way ? » Visiblement insensible, Santa n’arrange rien et les choses empirent. À huit ans, slowthai perd son jeune frère atteint d’une dystrophie musculaire. Commence alors une véritable chute libre. Ty est fou de rage et doit suivre des ateliers pour gérer sa colère. Finalement, c’est par le rap, découvert grâce au film 8 Mile, qu’il apaise sa fureur.

Le Brexit Bandit passe ensuite son adolescence à la campagne de Little Houghton, en périphérie de NN. Dans « Gorgeous », il raconte ses aventures avec ses potes, qui se terminaient régulièrement par une course poursuite avec les flics. Vols de vélos comme dans le film The Young Offenders ou encore shoot de pigeons au air soft, il passe le plus clair de son temps à Abington Park. C’est d’ailleurs là qu’il découvre Radiohead en traînant avec des skaters et des punks. C’est aussi ici qu’il écrit son hit « TN Biscuits », après s’être fait virer de son poste au magasin Next. Parallèlement à ses frasques, slowthai enchaîne les petits boulots : ouvrier, fermier, vendeur… Finalement, il va se concentrer sur la musique.

L’énergie du punk

Après un premier EP intitulé Better Less Usual sorti en 2012, une apparition sur l’album de Lord Pusswhip et le single « Jiggle », Ty envoie la bombe I Wish I Knew. Une mixtape entièrement produite par Kwes Darko. La musique oscille entre le post-punk d’Atrocity Exhibition de Danny Brown, comme sur « Dumb », et le grime de Boy In Da Corner de Dizzee Rascal, comme sur « Round & Round ». Les histoires de Tyron font également penser aux textes de Mike Skinner de The Streets, lui aussi originaire des Midlands.

Suite à ce projet, slowthai ne s’arrête plus. Il fait de plus en plus de shows, drop la mixtape RUNT et sort une multitude de singles avec des clips détonants. Dans « Polaroid », le rappeur s’échappe d’un asile psychiatrique et envoie au sol tous ces faux amis qui l’aiment depuis qu’il a des vues sur YouTube. Dans la vidéo de « North Nights », Ty rejoue des scènes de films cultes comme Shining, La Haine ou Orange Mécanique. Son regard de fou fait penser à un mix entre Keith Flint de The Prodigy et le Joker de Batman. Cette folie furieuse se retrouve également lors de ses lives, qu’il commence parfois dans un cercueil et finit en général en caleçon.

La dimension punk est toujours très présente dans Nothing Great About Britain. La collaboration avec Mura Masa sur « Doorman », morceau dans lequel slowthai dénonce astucieusement l’écart entre les classes sociales, fait penser à Sleaford Mods ou aux Stooges. Le magnifique track « Missing » est en partie produit par les punks de Slaves.

Depuis, sa popularité ne cesse de croître. Ty est programmé dans les plus gros festivals, il travaille avec les plus grands (Skepta, Tyler The Creator, Damon Albarn et bientôt Sergio Pizzorno) et a reçu une nomination pour le prestigieux prix Mercury. Bien qu’il n’ait pas été récompensé, le rappeur s’est fait remarquer grâce à sa performance brutale. Arrivé sur scène avec une tête décapitée de Boris Johnson dans la main, il est ensuite monté sur les tables d’un public guindé avant de conclure son show par un gros mollard. En avril dernier, il organisait le 99p Tour, tournée au cours de laquelle il a écumé les pubs ouvriers et vendu les places à une livre pièce. slowthai sait d’où il vient et il ne compte pas l’oublier.


Texte : Arthur Duquesne

Crédit : Jamie A Waters

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