Lors de son discours iconique des Source Awards de 1995, André 3000 s’offusquait de la centralisation du hip-hop américain et proclamait « the south got something to say ». Une phrase qui prit part à l’émergence d’une vague de bébés rappeurs sudistes dont un certain Kevin Pouya. 24 ans plus tard, ce dernier en est devenu l’un des porte-étendards.
Une année est passée depuis l’excellent FIVE FIVE et Pouya récidive avec ce qui pourrait être son chef-d’œuvre introspectif, The South Got Something to Say. Un projet qui sonne comme la thérapie d’une existence rongée par l’anxiété et la dépression. Colocataires forcées dans le crâne du Baby Bone, joie, peine, colère et mélancolie apprennent à cohabiter de superbe manière dans cet album, produit par ses acolytes Mike the Magician et Rocci.
Un problème insoluble
En clôture de FIVE FIVE, on avait laissé Pouya dans une situation critique à l’arrière d’une Cadillac, en proie à de sombres pensées. Par la suite, la pochette de son dernier projet n’augurait rien de bon, l’exposant dénudé et en sang au milieu d’un champ, comme si on l’y avait lynché. Pourtant, c’est dans une ambiance festive que l’on débute avec le soyeux « Cruisin’ In The MIA ». Sur une délicieuse instru tout droit sortie de GTA Vice City signée Mike The Magician, Pou kick sec et reprend les commandes. Dans une ride ultime direction sa Miami natale, les soucis semblent loin, à mesure qu’il apprécie autant les courbes de son trajet que celles de ses accompagnatrices. Mais dès le second titre « I’m Alive », Pouya expose son problème : sa vie est un roller coaster d’émotions, il oscille sans cesse entre les sommets et les abysses sans stabilité. Sur un sample de trompettes qui sonne pourtant joyeux, le Floridien entrevoit un avenir funeste, pronostiquant mourir sans ne jamais s’aimer.
Ses hauts et ses bas sont sa principale inspiration. La dépression le guette sans relâche. En particulier dans « SUPERMAN IS DEAD » et « Mood Swing Misery », où on plonge dans les pensées obscures d’un Pouya usé par ses amours déchus et ses nuits blanches d’angoisse. Bien souvent, son anxiété se confond avec sa relation aux femmes, qui en sont autant la cause que la solution. Baby Bone expose sa dépendance à l’affection féminine dans cet album, notamment sur « FIVE SIX » et « 95 ». Ce qui est trompeur dans cet opus, c’est que l’habillage de certains sons ne reflète absolument pas la tristesse des lyrics, comme par exemple sur « Florida Thang ». Alors qu’on y retrouve une vibe groovy et chaleureuse, le rappeur de Miami continue d’y expier ses maux et sa nature autodestructrice, ravagé d’avoir perdu la seule qui puisse le sauver. Une diversité musicale qui se remarque, que ce soit avec des sons de ride, des solides bangers, mais aussi de petites sucreries comme « Settle Down » aux côtés du duo pop Midnight Rush.
La descente aux enfers
The South Got Something To Say reflète les fluctuations qui plongent l’artiste dans le cercle vicieux de la dépression. Plus son mal-être s’intensifie, plus il se hait. Un dédale mental sans issues, intensifié par la culpabilité liée à son train de vie très confortable qui devrait le rendre heureux. Lassé de s’enfoncer dans les marécages de la déprime et découragé d’en sortir un jour, Pouya envisage une solution radicale, le suicide. Prêt à descendre droit aux enfers, il se familiarise avec la population locale, cercle par cercle. Quand il a débarqué dans le premier, il devait être d’une humeur massacrante en tombant sur ZillaKami et SosMula, les démons de City Morgue, donnant l’explosion nucléaire « BULLETPROOF SHOWER CAP ». Avec un flow aussi bouillant que le magma, les trois compères redoublent de violence et prônent l’utilisation de bonnets de douche pare-balles afin de prévenir l’envie de se coller une bastos avant le petit dej. Pouya se dit chaud à avaler du plomb (littéralement) pour rejoindre ses défunts potes X et Peep au plus vite.
Quand on sombre dans les limbes, on croise le livide Ghostemane, qui partage avec Pou l’idée d’ingurgiter des liquides non potables. Sur le track « Cyanide », on passe de la fournaise au blizzard. L’ambiance est toxique, entre un Pouya dépressif et un Ghost qui veut rentrer dans le club des 27. Dans sa torpeur, le Baby Bone enchaîne sur une troisième collaboration et un énième découpage intensif avec « Six Speed » aux côtés de Juicy J. Un triptyque infernal qui marque un profond changement dans l’album, le basculement de la mélancolie vers une haine destructrice.
Après la joie, la tristesse et la colère, Pouya clôture son album dans le désespoir sur l’émouvant « When Will I See You ». Comme une apothéose de sa descente vers l’abîme, il laisse la peine l’envahir et ne pense plus qu’à une seule chose : quand va-t-il enfin revoir ses amis Peep et X, dont il ne s’est jamais remis de la perte. Un ultime hommage en guise de rendez-vous, et un contraste saisissant avec l’enthousiasme de l’intro. Le temps d’un projet, Pouya n’a pas réussi à se défaire de ses démons, il s’est donc résolu à les rejoindre.
Texte : Martin Muller
Crédit : HUS