$uicideboy$, morts ou vifs

Depuis que SpaceGhostPurrp et le Raider Klan ont remis au goût du jour l’univers du dirty south avec le phonk (mélange entre Three 6 Mafia, DJ Screw et de G-funk), énormément d’artistes sudistes ont vu leurs carrières boostées. Aujourd’hui, les $uicideboy$, originaires de la Nouvelle-Orléans, font partie des rappeurs les plus iconiques de ce mouvement underground. Validés depuis longtemps par leur mentor Juicy J, $crim et Ruby reviennent avec un nouvel opus intitulé Stop Staring At The Shadows, dans lequel ils revivent littéralement… ou pas.




« The real $uicideboy$ died at the start of 2016. » C’est la folle théorie qu’avance un internaute complètement allumé en 2018 sur la plateforme Reddit. Comme tout bon complotiste un peu fumé, la personne à l’origine du thread écrit un pavé pour avancer ses preuves et révéler au grand jour la supercherie qu’il pense avoir découverte. Selon elle, $crim et Ruby sont morts dans un accident de gova le 6 janvier 2016. Trop défoncé, le premier aurait planté sa caisse avec à son bord son cousin. Après le crash, $crim senior (le daron du garçon suicide) aurait alors pris la décision d’embaucher deux types ressemblant physiquement aux membres du duo de la Nouvelle-Orléans afin de continuer le travail de Scott et Aristos de leurs vrais noms, ce dans le but de continuer à mailler…

Lorsque l’utilisateur a élaboré cet alternative fact, il devait probablement être trop fonscar dans sa piaule équipée d’une connexion internet à une heure avancée de la nuit. Des imposteurs n’auraient jamais pu assurer la productivité affichée lors de ces quatre dernières années, ni continuer à développer l’univers musical torturé des zincous. Depuis cette pseudo mort, plus d’une dizaine de mixtapes sont sorties ainsi que trois albums. Le dernier en date est Stop Staring At The Shadows. Dans ce projet, les rappeurs de Louisiane ne sont pas de pâles fac-similés mais bien les originaux, plus vivants que jamais, ou encore plus morts qu’au commencement.

« Still riding with my devils, ain’t shit changed »

Musicalement, Stop Staring At The Shadows est un album typique des deux weirdos de Chopper City. Des instrus phonk avec de grosses basses et une 808, accompagnées de changements de flows bipolaires pour les bangers, suivis de sons plus emo, où le chant prend une plus grande place. Le tout est enrichi de samples de Juicy J, Lil Gin, Bonobo, ou encore MC Money & Gangsta Gold. Au niveau des textes, les thèmes abordés sont dans la lignée des précédents projets : l’abus de drogues, les pensées morbides, la dépression, les hoes, les glocks et l’argent.

En bref, ils rident toujours avec leurs démons, comme le rappe Scott dans « Bizarro », track dans lequel il se compare au anti-héro créé par DC Universe, et aux antipodes du bon gars qu’est Superman. Ces démons les entourent, ils lèchent leurs blessures et les torturent, mais Ruby et $cim continuent de leur confier leurs secrets. Les natifs de Jeffer Street sont piégés comme Guts dans Berserk lorsque Griffiths plonge le monde dans les ténèbres.

La drogue et les opiacés les ont rongés jusqu’à l’os. Ils sont aujourd’hui semblables à « Mega Zeph », ces montagnes russes impressionnantes de New Orleans dont elles sont l’un des symboles. Dans un état déplorable et délaissées depuis Katrina, l’ombre de l’attraction plane encore sur la city. Toujours présents physiquement dans ce monde, les $uicideboy$ considèrent que leur âme est morte et ils n’attendent plus que le repos. Sans filtre, ils laissent parler leurs instincts parfois contradictoires sur les beats de Budd Dwyer (alter égo du $) et dévoilent leurs sentiments.

Autant ils regardent tout ce qu’ils ont accompli, autant ils ne voient pas cela comme une finalité dans « Putrid Pride ». Sur « All Dogs Go To Heaven », ils se comparent à ces chiens gangsters du film d’animation du même nom. Des chiens qui, malgré leur vie emplie de péchés, finiront au paradis.

Les emblèmes d’une adulescence américaine malade

Ces contradictions sont l’expression d’esprits malmenés et torturés. Leurs pensées fusent dans un flow incontrôlable inondant leurs têtes. Sobre des percocets depuis maintenant un an, Scott rappe qu’il devenait fou à cause de sa désintox dans « What The Fuck Is Happening ».

Aux gens qui ont la bonne idée de dire « ça va aller, accroche toi », les cousins chantent le très beau « That Just Isn’t Empirically Possible », sur la mélodie mélancolique « Way Star » de Rubba, déjà découpée par Freddie Gibbs et Madlib en 2011. Chez eux, la dépression est comme le naturel qui revient au galop. La combattre est un effort permanent qui les fatigue au point qu’ils rêvent d’un sommeil éternel.

Néanmoins, quelque chose de nouveau émerge de cet album en apparence moins sombre. Les deux rappeurs voudraient arrêter de fixer l’obscurité pour atteindre des horizons plus lumineux. Ils se rendent compte qu’ils ont atteint la trentaine sans se briser la nuque dans « One Last Look At The Damage ». Autour d’eux, les MC tombent comme des mouches à cause des drogues qu’ils ont prises depuis des années. Lil Peep, Juice WRLD, Mac Miller, Fredo Santana ou encore le créateur de la chaîne YouTube Shroomhead, tous y ont succombé récemment. Sans parler de l’état de santé inquiétant de Lil Wayne, l’une de leurs idoles, qui parle de la culture de la drogue propre au dirty south au début de la piste « Bizarro ».

Ruby le regrette d’ailleurs dans « Putrid Pride » : « As the years go by, the drugs used to be fun / Now, they’ve become a problem. » La drogue et les prescriptions médicales abusives ont été leur seul remède face à leurs états d’âme et à leur souffrance pendant des années. Aujourd’hui, Scott et Aristos en assument courageusement les conséquences. Ils parlent en quelque sorte pour une grande frange de la jeunesse américaine en proie à la dépression, une maladie malheureusement souvent déifiée dans l’industrie du disque. Conscients que leurs textes résonnent chez beaucoup de personnes, ils rappent « save lives daily but I can’t save me, nah » dans « [whispers indistinctly] ». Des paroles qui donnent une idée de la situation complexe sous leurs boîtes crâniennes.

Peinture des flux de pensées dépressives incontrôlables et dévastateurs des deux artistes, Stop Staring At The Shadows est un projet important, surtout dans ce contexte d’épidémie d’opioïdes qui meurtrit les États-Unis. Bien que $crim et Ruby soient toujours écartelés par le Malin, ils semblent sur la voie de la guérison et de la résurrection, n’en déplaise à notre complotiste préféré de Reddit.


Texte : Arthur Duquesne

Crédit : La Pépite

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