Le 27 novembre dernier, un athlète a vu son statut passer d’outsider à futur poids lourd francophone. Mental d’acier, sens du placement, flow brutal, les skills de Rounhaa sont nombreux et son ascension, fulgurante comme un crochet du droit. Avec Horion, il confirme les espoirs placés en lui. Et même si le chemin est encore long pour se voir décerner la ceinture du rap jeu, le rappeur a déjà tout d’un crack. Chronique en deux rounds d’un combat de vie.
Durant près de trois ans, la scène rap suisse a longtemps été associée aux mêmes sobriquets : Di-Meh, Slimka, Makala. À raison, car c’est en grande partie grâce à la triplette d’XTRM Boyz que le panorama helvétique a gagné en visibilité, mais aussi à tort, puisqu’une nouvelle vague de challengers a émergé entre temps. Trois ans, c’est également la période d’activité de Rounhaa, ou plutôt d’hyperactivité vu le nombre d’œuvres sorties par le rappeur. Quelques sons postés sur le cloud, le cinq titres TEMPO ainsi que le 10 titres Multiver façonnent les bases de son univers artistique. S’en suit Yeratik fin 2019, premier véritable album et première gifle pour l’auditoire. Un an plus tard sort Horion, skeud qui transpire l’amour du rap et transforme au passage la gifle en uppercut. Time !
Boxe avec les mots
Avant d’entamer une session d’Horion, il est vivement conseillé d’enfiler un protège-dents, tant la violence des 16 coups portés risque de déchausser quelques molaires. Et encore, connaissant la productivité du garçon, le disque aurait très bien pu contenir le double de titres, avec port du casque obligatoire en prime.
« Horion, patate dans la bouche de la crève. J’viens chercher les rappeurs à la crèche. Ça va t’fumer la tête et le corps, à la fin y’aura rien entouré à la craie. » C’est par ces mesures que débute le banger « H », envoyant un message tout aussi fort à la concurrence qu’aux auditeurs. Les présentations sont faites, le combat peut commencer.
Tout aussi énervée, la seconde piste « 10 000 » colle à merveille au tempo rapide du rappeur qui confesse avoir « mangé l’peu-ra au p’tit déj’ ». Des textes marquants, le projet en comporte une myriade. Alors si en plus les prods sont de qualité, on n’est pas loin du knock-out. Pour ce baroud de près d’une heure, Rounhaa s’est en effet entouré d’un staff prometteur. Présent sur cinq titres, Kosei démontre ici toute l’étendue de sa palette et confirme son aura de beatmaker à suivre de très près. En témoigne la claque instrumentale sur « WYDFM ». On soulignera également la patte de Rodlofl, à l’œuvre sur deux tracks, dont « Dynamite ». Rounhaa y délivre l’un de ses meilleurs couplets, condensé de lyrics percutants et de flows ravageurs à en perdre les esgourdes façon Holyfield vs Tyson. « J’m’en fous d’faire l’album de l’année, moi j’veux faire l’album de ma vie. »
L.U.T.T.E
La compétition ne se déroule pas uniquement sur le ring, elle est aussi ancrée dans la tête. Au fur et à mesure de la rixe, Rounhaa se veut davantage intimiste dans sa démarche, sans toutefois baisser la garde face à l’adversaire. Parce qu’au fond, son plus grand rival, c’est peut-être lui-même : « Je m’fight, moi contre moi contre je m’fight » se confie-t-il dans le refrain de « Milkomeda ». On retrouve l’évocation de cette joute mentale à de nombreuses reprises : « T’en es là car tu fuis la peur qu’t’affrontes pas en face. Un peu bizarre mais souvent seul je mets mon âme en cage » dixit le rappeur dans « Retouche ».
Ce qui fait toute la force du projet, c’est la capacité de Rounhaa à alterner entre fulgurances égotripées et réflexions profondes au fil des morceaux. Tel un puncheur émérite, il cale des parades, esquive et riposte afin de désorienter l’adversaire. De son ancienne relation compliquée, il en est beaucoup question dans Horion. Jamais directement citée, la personne concernée semble tourmenter le rappeur qui plonge régulièrement dans ses souvenirs, plus ou moins douloureux. « Trahis par mes amis et par celle que j’aimais, trahis par moi-même si ça continue » s’exclame-t-il dans le bien nommé « Crash Test ».
Pour l’unique featuring du projet, Rounhaa s’est associé à un autre lutteur : Khali, jeune espoir de l’écurie Try To Live fondée par Myth Syzer. Force est de constater que l’alchimie du duo est totale, « Miroir » reflétant parfaitement leur identité artistique propre. Sur ce titre, le premier admet : « Devant le miroir, d’puis dеs années, c’est le même. Tellement déter, j’ai ça dans l’sang, dans mes veines. » La passion d’un Cassius Clay sans l’arrogance futile d’un Conor McGregor en somme.
Fin des hostilités. Dans les cordes une bonne partie de la rencontre, l’auditeur n’aura pas pu esquiver les très nombreuses frappes assénées par Rounhaa, laissant le malheureux sur le carreau, complètement lessivé par cette masterclass auditive. Le titre du disque ne pouvait pas être mieux choisi. Après écoute, Horion laisse une trace indélébile dans l’esprit, sans doute la marque des grands champions.
Texte : François Graz
Crédit : Exit Void