Cinq piges après son très bon premier EP intitulé Souterrain Son Vol. 1, Luni Sacks revient enfin avec un nouveau projet solo, Conec Ville, son premier véritable album. L’attente a été longue, voire interminable pour les amateurs du G d’Annecy, même si celui que les tchoins follow comme un vigile du Monoprix a entre-temps sorti plusieurs singles et tapes, notamment avec ses enfoirés de Francis Trash. Toujours bien éduqué mais insolemment nonchalant, dans Conec Ville, Sacki est dans son élément.
« La ville c’est Gotham » rappe Luni Sacks, flegmatique, dans le track « La Vie de Rêve » en featuring avec son gars Majid. Pour de vrai, la city est pleine de fausses connexions que le G originaire d’Annecy évite avec précision. Mais dans la Conec Ville, Sacki n’a pas besoin d’un masque, d’une cape et d’un slibard noir pour se faire respecter. Sapé d’une TNF anthracite, d’un Dickies Big Daddy et d’un kufi à la Kareem Saïd, le MC de la team Francis Trash ferme des bouches avec parcimonie, sans stress aucun. Entre les souvenirs des claques du daron, l’ombre planante de l’Éternel, la haine des fugazis et le goût de la bonne compagnie, Looni nous embarque dans une ride londonienne en pleine nuit.
Toujours bien éduqué
Voiture mal garée et moteur allumé sous la lumière grésillante d’un lampadaire d’East-London, Luni sort d’une épicerie à une heure tardive, avec sous le bras, une teille de London Dry. C’est en quelque sorte l’atmosphère qui se dégage du son « Intro » de cet album. Rapidement, Sacki rentre dans la caisse. Celle-ci démarre et s’éloigne, alors que les notes sèches de piano du morceau accompagnent les phares qui s’en vont dans le noir direction Kingsland Road.
Très vite, le track « Sneaky » nous projette dans l’habitacle du gamos allemand qui roule à burne vers une soirée arrosée entre Primrose Hill et Chalk Farm. La vitesse du bolide est renforcée par une instru nerveuse pondue par outby16 et NxxxxxS, grâce à laquelle on sent l’air nous fouetter la gueule et on voit l’éclairage nocturne défiler comme des flashbangs aveuglants. Au volant et sur la prod, Sacki drifte nonchalamment. Il rappelle qui il est, à savoir celui qui peut « sortir n’importe quoi de son Dickie » et celui à qui tu vas « cer-us la dicki » fissa.
Le rappeur ouvre en balle son projet avec ce gros banger pour diss les « filsputes » sournois qui lui grattent l’amitié et à qui il ne donne aucun crédit. Looni raconte d’ailleurs que ces menteurs et ces pointeurs n’ont ni les mêmes valeurs ni la même éducation que lui. Comme il l’écrit également sur la piste « Nani » avec Sawmal, pendant que lui se prenait des claques de tonton, eux regardaient Super Nanny. Un apprentissage de la vie marquant à base de tartes de maçon, qu’il évoque régulièrement dans ces sons, comme dans « Rapides et Dangereux » il y a quelques années, ou plus récemment sur « Larsen » et « Mexique ».
Toujours bien accompagné
Dans « GTO », le sujet revient. Les trempes reçues plus jeune auront eu le mérite de lui mettre les idées bien en place et de lui inculquer un code moral de vrai boss. Sur une instru plus légère et aérienne signée 3G et BricksPlugz, Luni semble posé en appart avec sa clique, pour un before à base de gin et gros doobies, et de nombreuses « empty bottles » sur la table. Première étape de la party. Le MC s’intoxique doucement les poumons et le foie, et raconte qu’il a taro la veille mais qu’il n’a pas pris son num. Insolemment indolent, le rappeur est le genre de boug qui débarque en jaille et repart avec ta meuf sans pression : « Tu demandes même pas c’est qui le patron quand j’suis dans ta ress, et je graille ce punani ». Garder contact ? Pas question. Le lendemain n’a pas raison.
Aux côtés de Kizi et de Majdon sur le track drill « KLM », Looni part en piste pour le reste de la night. Les trois lascars, déjà bien attaqués, n’ont pas à forcer leur talent pour avoir deux trois houes autour d’eux. En ville où en campagne, elles leur posent la même colle : « Why you so hot ? » Pas le time de répondre, passage au studio entre deux plans de teuf pour record quelques maquettes sur l’« Interlude GS ». Le temps de faire une pause dans la ride, remplir les verres et rouler les blunts. Aqua dans le studio et Majdon et Sacki laissent aller leurs pensées sur la douce instru de « La Vie de Rêve ». Les deux G d’Annecy veulent vivre de leur musique. « Si Dieu veut dans 10 ans j’rendrais visite à maman, dans son palais », balance Luni. « La khapta la khapta tu kiffes mais ça paye pas le fun, nan / Ok, ok, ok, on va le faire aussi », enchérit Maj. Ils veulent manger leur part du gâteau, une part qu’ils mériteraient amplement tant ils innovent musicalement.
Après ces rêveries enfumées, la troupe repart cruiser dans la street de London en direction du prochain point de chute. « Baby j’suis en chemin dans une dernière Audi », chantonne Sackhadafi. La ty-par est finalement trouvée et l’ambiance est ragga dance hall, avec Faacil aux platines de « Big Sackaveli ». Rythmé par un roulement de grosses basses efficace qui ferait pâlir Dopebwoy, le morceau ambiance les corps et les rapproche sur la piste. « Je perds pas mon temps sur des pacotilles / Je sors je veux graille j’ai beaucoup d’appétit », envoie Luni sûr de lui. Il déconseille n’importe quel fosco de se mettre entre lui et sa target : « Un mec cool mais fait gaffe quand même où tu mets les pieds ».
Mais en club, les fufus lubriques en chien sont légion. Des sales cofos en VVS mais sans aucun business, rappe Luni dans « Crizz », en continuant ses pas de danse chaloupés et effrontés sur la musique fiévreuse de Ness. De quoi tu veux lui parler ? Sacki et son ton mastiqué cassant remballent quiconque vient les lui briser. « Fils de pute tu veux m’arrêter / Ça marche pas tu peux arrêter », lâche-t-il calmement sur « La Mentale ». Si tu ne veux pas le détail de ses chevalières gravées sur la mâchoire, bouge de là. Car dans « La Vengeance », Sacki est du genre rancunier. Parvenu à ses fins, celui qui peut serrer une Veyrolaine friquée convainc la go de rentrer avec lui. « Viens chez moi maintenant / Tu voudras rester, jusqu’à demain ». Mais le lendemain n’a pas raison. Luni fourre avec une classe de baron, et se casse de là.
Texte : Arthur Duquesne
Crédit : Daryl Dschang