Pour Rare Akuma, le lockdown n’a été qu’une préparation psychologique. En effet, le rappeur anversois a pu se préparer avant de s’enfermer dans les studios du Trix pour enregistrer son prochain album : DIRTYTWOMINUS. Après avoir régalé son public avec des concerts vidéo, des singles exclusifs et une trousse de secours de cinq tracks pour la quarantaine, Shyheim Newell de son vrai nom semble déterminé à s’exporter worldwide tout en continuant à explorer le dédale qu’est son imagination musicale.
Peux-tu te présenter pour ceux qui ne te connaissent pas ?
Je m’appelle Akuma, j’ai 24 ans. Je fais plein de genres de musique. J’ai commencé par composer des beats, en 2010, je crois. Je me suis mis à rapper un peu plus tard. Depuis ce jour, Rare Akuma est dans ce jeu.
Comment as-tu commencé la musique ?
Je devais avoir 12 ou 13 ans, j’écoutais des sons et je me disais souvent : « Putain, j’aime cette chanson mais je l’aurais faite différemment ». Alors j’ai fait des édits, des bootlegs, bref je m’amusais à retravailler plein de titres. Quand tu débutes, tu ne sais pas créer tous ces sons et effets tarés que tu imagines. J’ai décidé de me lancer dans la composition pour persévérer. À l’époque, mon père avait un laptop qu’il me prêtait à l’occasion. Il avait aussi un studio, mais j’étais trop jeune pour savoir l’utiliser (rires).
Skrillex t’a beaucoup influencé dans tes débuts.
La drum and bass et le dubstep étaient les deux styles de musique que j’écoutais le plus à l’ancienne. Il y avait l’EDM aussi. Dans ces univers, Skrillex était vraiment unique et il avait une manière bien à lui de faire du son. Il m’a beaucoup influencé dans ce délire de sortir des morceaux différents de ce qui se fait habituellement. D’ailleurs, j’adore toujours l’artiste et c’est encore une inspiration.
Tu faisais du rap à cette période ?
Non, j’ai commencé en 2017. Je trouvais ça plus expressif que simplement faire des beats. C’est grâce au producteur UV Boi que je me suis lancé, il postait des sons de malade, ça m’a motivé. Shout out à lui ! Des types comme Yung Lean m’ont aussi marqué, et bien entendu Bones, Xavier Wulf ou les $uicideBoy$ un peu plus tard.
Tu as d’ailleurs samplé Xavier Wulf et collaboré avec $crim et Ruby.
Ouais, sur « Wulf1996 ». Je devrais lui envoyer un DM pour lui proposer une collab un jour (sourire). Ce serait putain d’incroyable, mais je ne suis pas encore connecté avec lui, j’aimerais bien ! Pour ce qui est de $crim et Ruby, j’ai travaillé avec eux en 2015. C’était bien avant leur succès actuel. On était juste ami sur Facebook et on a commencé à se parler. Je leur ai envoyé des prods et ils ont kiffé. Ils ont utilisé deux de mes pistes pour l’EP Grey Sheep : « Suicider » et « Second Coming ».
Comment as-tu rejoint le collectif Midnight Society ?
C’est parti de SoundCloud. The Virus & Antidote m’a contacté fin 2016, c’est un des membres principaux du crew. Il l’a fondé avec Kamiyada. On a pas mal échangé et j’ai intégré l’équipe. On est une vingtaine. La majorité est basée aux États-Unis comme Yung Bambi, Original God, Dutchman, Braxton Knight ou Kamiyada. Il y a aussi des membres éparpillés un peu partout : EloimMeth en Italie, ou la dernière recrue TYOSiN qui vit à Tokyo. On a également VoidTracks dans l’équipe, il gère une chaîne de musique underground sur YouTube, et Steven Jets qui s’occupe de ce qui est photo et vidéo.
La distance n’est-elle pas un frein pour le travail ?
Au début, c’était un peu compliqué, mais on a appris à se connaître. J’ai bougé à Los Angeles en 2019. J’étais en studio avec toute la clique, ça a rendu le truc beaucoup plus réel. C’était la première fois que je rencontrais tout le monde. On était tous def, à travailler sur un album commun. Ça devrait arriver bientôt, mais je ne connais pas encore la date de sortie officielle.
Kamiyada était déjà venu à Anvers en 2018.
Pour l’histoire, mon manager bosse dans l’organisation de festivals et m’a demandé de l’aide pour booker « ces types » en parlant de Kamiyada et Yung Bambi. On a fait un show ensemble et tourné des vidéos, dont le clip de « Raging Fists » deux ans après la sortie du track (rires). C’était la première fois que je captais Kamiyada, c’était complètement fou. En général, quand tu rencontres un artiste en ligne, la collaboration reste souvent virtuelle. Kami m’a fait comprendre que ce n’était pas juste du son sur Internet. J’ai pigé que la musique pouvait vraiment devenir quelque chose de grand pour moi.
À Anvers, tu évolues avec ton crew Renegades.
Au moment où nous l’avons créé, j’étais déjà chez Midnight Society. J’aimais beaucoup ce délire de collectif, avec une émulation de groupe. Il n’y avait que Kebbi, Stealth et moi au départ. Mattwxsted est ensuite arrivé, suivi de LZI FT. On est juste une bande de potes avec pour but de créer de la musique. On veut avancer ensemble et répandre notre vibe dans le pays. Quand je suis allé à LA, j’ai réalisé à quel point la Belgique était fermée. J’ai l’impression qu’Anvers se meurt peu à peu au niveau de la vie nocturne, et on veut remédier à ça. C’est dans cette optique qu’avec mon manager, on organise le festival Hellraiser avec tous les Renegades. On aime bien performer au Trix, et les retours qu’on a eu sur l’event étaient très bons.
Tu commences à collaborer avec des artistes bruxellois.
Je ne suis pas proche d’énormément de gens, à part Dutch Norris et Blu Samu. J’ai aussi bossé deux fois avec Zwangere Guy. C’était vraiment cool. J’ai produit un de ses tracks sur Wie is Guy ? et il m’a recontacté par la suite pour BRUTAAL.
Pourquoi avoir choisi de rapper en Anglais et pas en Néerlandais ?
Ma mère est née en Angleterre. Je parle cette langue tous les jours à la maison. J’ai de la mif à Londres et à Bournemouth. C’est ma seconde langue, ma seconde maison. En Belgique, les gens n’acceptent pas aussi facilement l’Anglais dans le rap que le Français ou le Néerlandais. J’ai envie de briser cette bulle. L’Anglais est global, il ne te fixe aucune barrière car tout le monde le comprend.
Depuis ton premier projet Pre Season, tu écris des hooks efficaces et entêtants, comme sur « Seaside », « Love Life » ou plus récemment « Vertigo » et « Gantz! ». C’est quoi ta recette ?
Je n’en ai aucune idée (sourire). À vrai dire, c’est assez paradoxal, je déteste écrire des hooks mais j’adore en avoir dans mes morceaux. Ça ramène une vibe un peu plus catchy. Donc si j’ai un truc cool en tête, je l’utilise. Sinon, je ne force rien. Je mets du temps à faire des sons qui me conviennent car je veux vraiment me sentir à l’aise. Je n’ai pas envie d’avoir des refrains typiques ou des trucs déjà vus et revus.
Tes tracks sont majoritairement teintés de colère, de tristesse, de solitude et d’amours compliqués. La musique t’aide à expier ces sentiments ?
S’exprimer, c’est le plus important. Si tu ne peux pas parler aux gens, ou que tu n’y arrives pas, il faut utiliser une autre manière. Certains font de la peinture, d’autres sculptent, moi je fais du son. Je fais partie de ceux-là. C’est grâce à la musique que je deviens meilleur, que je progresse dans mes relations avec les gens. Je peux juste être moi, c’est vraiment bon pour la psyché.
Pour ton album It’ll Be Okay, tu as puisé ton inspiration des personnes qui n’ont pas cru en toi par le passé. Tu peux en dire plus ?
Parfois, peu importe ta confiance en toi, tu as l’impression de ne pas être à la hauteur dans ce que tu entreprends. C’est d’ailleurs ce que je veux dire avec ce titre It’ll Be Okay. Je ne me sentais pas hyper bien, comme si je n’étais pas bon dans ce que je faisais. Je crois que tous les artistes connaissent ce feeling. Par exemple, tu vois les statistiques de tes sons descendre… Ça ne veut pas forcément dire que tu deviens mauvais. Les chiffres vont de nouveau aller vers le haut. Simplement, par moment, des insécurités prennent le dessus sur toi, et tu commences à douter de tout. Tu te mets à penser qu’il faut lâcher un son rapidement ou de meilleure facture, tout ça parce que les chiffres vont vers le bas. Mais si tu n’as pas drop depuis longtemps, les gens ne seront pas satisfaits avec une seule chanson. Bref, c’est taré comment ces incertitudes de merde peuvent entrer dans ta tête.
Tu ressens une pression de la part de ton public ?
Pas vraiment. Je sais qu’à chaque fois que je sors une nouveauté ils sont très enthousiastes. Ils me soutiennent et ça me fait du bien. Pour le Quarantine Care Package, je n’ai pas pris le temps de promouvoir mon projet. C’était avant tout des tracks qui allaient finir à la corbeille. Plutôt que de les jeter, j’ai tout sorti pour remercier les gens qui me suivent et les faire patienter.
Tu peux expliquer l’histoire derrière le son « Gantz! » ?
Suis tes démons, pourchasse-les et débarrasse-toi d’eux. Débarrasse-toi de la tristesse, de l’anxiété et des comportements toxiques. Ça peut aussi être le harcèlement, les pensées négatives et toutes ces merdes. C’est un track que j’ai écrit un peu comme un jeu vidéo : « I’m a Renegade Master, Sunshine Blaster »… Genre tu combats tes démons mentalement. « Gantz! » est peut-être l’une de mes chansons les plus introspectives, en tout cas sur tout ce que j’ai en ligne, car j’en ai écrit d’autres depuis (sourire). Tout le texte reste une métaphore. Quand je parle de « démons », de « les tuer », est-ce sérieux ? À fond, mais ce n’est pas écrit de la façon la plus sérieuse. Certaines personnes écouteront le morceau et pigeront le message, d’autres ne resteront qu’à la surface.
Pourquoi est-ce si important pour toi de ne pas te limiter à un style défini ?
Je me sens bien quand je vois que je suis capable de réaliser des choses hors de ma zone de confort. Je sais ce dont je suis capable avec ma voix et ma musique… Et j’aime énormément de styles. Pourquoi se restreindre ?
Ton album arrive bientôt, un mot à ajouter pour nous teaser un peu ?
DIRTYTWOMINUS raconte mon histoire. Une histoire où j’apprends à grandir dans un environnement très fermé d’esprit, dans lequel les gens commentent les choses comme si elles étaient irréalisables, alors qu’elles le sont vraiment. « I’m Taking A Stand », pour le dire simplement. Je ne laisserai jamais quelqu’un pourrir ma vision, je l’ai suffisamment fait dans ma vie. « I’ve Been Done Dirty ». J’ai enfin assez de confiance pour dire oui ou non quand je le veux, et ça restera toujours le plus important pour moi.
Texte : Arthur Duquesne
Crédit : Indi Mouart