Atlanta, septembre 2021. Nutso Thugn est posé dans son studio, un durag rouge sang vissé sur le crâne. Le jeune artiste géorgien regorge de surprises. Régulier dans ses drops en tant que rappeur, il officie également en tant que producteur et ingénieur du son. Cette montée en puissance de Bnut aurait pourtant pu ne jamais arriver, mais le destin en a décidé autrement. Une dizaine de projets en trois ans, et des collaborations marquantes avec Brodinski, Slimesito, Fluhkunxhkos, KA$HDAMI ou encore BigSmokeChapo… Nutso a la tête sur les épaules et la réussite façon long terme dans le réticule. Un succès qui n’aura de saveur que si le principal intéressé reste loyal à ses frères et à lui-même. Et si un fufu tente de jouer avec le chef Thugn, il finira sans doute dans l’assiette des convives.
Est-ce que tu peux nous expliquer un peu ton parcours, où est-ce que tu as grandi ?
Je viens d’Atlanta en Géorgie, du quartier de Kirkwood plus précisément. C’est là que j’ai grandi, dans la zone six.
Tu écoutais quoi à la maison ?
C’est sans doute parce que je viens d’ici, mais quand j’étais plus jeune j’ai surtout écouté du Young Thug, du Peewee Longway ou encore du Gucci Mane. J’ai aussi eu ma période rock pendant laquelle j’ai pas mal poncé Slipknot. Dans l’ensemble, j’ai grandi en écoutant beaucoup de styles différents, même si le rap a toujours été au centre de ma vie.
Tu as plus été influencé par le début des 2000s que la fin des 1990s.
Exactement. J’ai commencé à vraiment m’intéresser à ce que j’écoutais vers 2007, je dirais. Avant ça, on va dire que j’étais surtout influencé par ce qu’écoutait ma famille et mon entourage.
De base, tu n’étais pas du tout destiné à la musique.
Pas vraiment. Quand j’étais au lycée, je jouais énormément au football. Et un jour je me suis cassé la cheville droite, ce qui m’a pas mal éloigné des terrains. Ça m’a indirectement conditionné pour la suite.
C’est à ce moment que tu commences à produire ?
De façon sérieuse, oui. À ce moment, mon quotidien se résumait à pop des percocets pour atténuer la douleur et faire du son toute la journée (sourire).
Ton frère t’a plus ou moins donné cette passion pour la production.
Ouais, il faisait des prods à longueur de journée. Dès que je me réveillais, je le voyais sur son laptop en train de cuisiner. J’ai appris énormément en l’observant, sur la façon dont la musique est composée. Il ne suffit pas d’arriver avec une idée, il y a des structures à mettre en place pour qu’un morceau fonctionne. S’il n’avait pas fait ça devant moi, je n’aurais jamais fait de musique, c’est sûr.
Tu rappais déjà sur ses prods ou pas du tout ?
Non. J’ai commencé à rapper sur mes propres beats et d’autres que je trouvais sur YouTube. Genre des type beats de DJ Plugg, Mexikodro, Flexgod Beats…
Tu étais dans la plugg bien avant que la scène explose.
Ouais, j’ai vu le mouvement grandir et péter depuis ses débuts. J’ai toujours construit mes prods comme si j’allais poser dessus directement derrière. Comme si je me mettais dans ma propre tête ou celle d’un autre rappeur et que j’imaginais ses attentes. Je faisais des Peewee Longway type beats, des Mexikodro type beats.
Quelles ont été tes grandes inspirations ?
TM88, j’ai vraiment accroché à son délire. Metro Boomin aussi, Scott Storch et plein d’autres. C’est très dur de n’en citer qu’une poignée, car j’ai vraiment appris de beaucoup de producteurs talentueux. Je pourrais même te citer mon frère, puisqu’il m’a vraiment inspiré à aller plus loin dans la musique.
Tu as commencé à rapper sur tes prods car tu en avais trop de côté ?
Personne ne voulait rapper sur mes compos, j’ai dû le faire moi-même ! Entre-temps, le vent a pas mal tourné. Les gens ont commencé à me demander des beats, beaucoup ont connu mon travail en me découvrant à travers mes feats avec d’autres rappeurs. Aujourd’hui, j’ai les deux casquettes : rappeur et producteur. Je ne sais pas trop comment je fais pour jongler entre les deux, mais je le fais plutôt bien pour l’instant.
Comment vois-tu toutes les nouvelles opportunités que t’offre cette visibilité ?
Je n’aime pas beaucoup les rappeurs. Dans ce milieu, ça grouille de collaborations faites par fausses amitiés. Les gens veulent juste s’associer à toi pour leur bien. Ce côté cloutchaser me dérange. C’est pour cette raison que je préfère la casquette de producteur, je n’ai pas à avoir des caméras braquées sur moi, je fais mon taf sans me soucier de ce qu’il y a autour et je prends du plaisir, c’est le plus important. Bien que beaucoup me connaissent par la voie du rap.
On remarque que tu fais très peu de feats. J’ai cru comprendre que la loyauté était quelque chose de très important pour toi.
Ouais, je dois sentir la vibe avec la personne. Il faut que ce soit naturel. Mon cercle est très restreint pour cette raison. Je ne veux pas de fake shit autour de moi.
Quelle est l’histoire derrière ton « producer tag » ?
« Nutso what the fuck is going on ? » Mon cousin rappe aussi, SpaceApe. Un jour, il vient me chercher chez ma tante, j’avais installé mon studio chez lui, c’était le moment pour record une petite session. Je lui ai demandé de me trouver un tag marrant. Il disait tout un tas de conneries. J’ai retenu cette expression, je la trouve parfaite et elle ne m’a plus quitté depuis 2018.
Est-ce vrai que tu as commencé à collaborer avec Brodinski après qu’il ait remarqué que tu avais volé une de ses prods ?
Ouais (rires). Shout out Lotto Savage, il m’a bien aidé dans cette histoire. Il venait chez moi pour enregistrer des sons, j’étais son ingénieur. Il venait tous les jours. Et une fois, il a oublié de se déconnecter de son mail, et j’ai check un pack de prods que Brodinski avait envoyé. Je savais qui il était. J’ai posé sur une prod et je lui ai envoyé le son. Il ne l’a pas super bien pris au début, mais ça reste historique… Brodinski et Nutso Thugn, no cap !
Est-ce que le fait que tu sois tout terrain à ce point l’a surpris ?
Beaucoup. Ce qui est le plus fou dans toute l’histoire, c’est qu’on ne s’est jamais rencontrés. On bosse tout à distance. Mais ça finira par arriver un jour, le courant passe vraiment bien et je valide vraiment sa vision.
Vous avez commencé à teaser une future collab, tu peux en dire plus ?
Ce sera pour Red 2. Pour l’instant, tout ce que je peux te dire, c’est que c’est prévu pour la fin d’année. Très bientôt, donc.
Au-delà de ces relations, comment expliques-tu le fait d’avoir autant d’auditeurs à l’international ?
Je ne l’explique pas trop. Je suis écouté en Europe, au Brésil, merde c’est fou (sourire) ! Ça vient surtout d’Internet et de la façon dont les choses évoluent aujourd’hui. J’ai commencé à poster mes sons sur SoundCloud, sur cette plateforme, tu peux très vite te retrouver écouté aux quatre coins du globe.
Il n’y a pas que Brodinski qui a voulu bosser avec toi. Tu as produit un EP entier de Jwles, qui est venu sur place à Atlanta. Comment est née cette connexion ?
Ses potes et lui sont venus à Atlanta et ont booké un Airbnb. J’y suis allé avec un gars, et j’ai vu que sur place ils faisaient de la musique. On m’a demandé qui j’étais. J’ai dit que j’étais producteur. Je leur ai fait écouter des beats, et je leur ai filé un pack. Une fois qu’il est rentré en France, il a record Le Zin & Nutso dans son coin. Quand c’est sorti, j’étais choqué, ça défonce !
Internet a tout changé. Que penses-tu des artistes qui pètent principalement grâce à Tik Tok ?
En vrai, je m’en bats les couilles. Je ne vais pas changer ma façon de procéder pour espérer percer grâce à une vidéo. Par contre, j’adore Tik Tok. Mon petit frère poste plein de vidéos dessus, en général je me tape pas mal de barres quand j’y fais un tour.
Comment définirais-tu ton univers ?
Je dirais que c’est du « dark horror », du rap aux notes très sombres… Pour être honnête, je ne sais même pas comment te décrire plus que ça ma musique. Je la vis, je suis moi-même. C’est ça, ma musique. Je n’essaye pas d’être une autre personne ou de faire ce qui pourrait marcher le mieux pour moi. Je reste fidèle à moi-même.
J’ai vu que tu avais ton propre jus de fruits à la Exotic Pop. Est-ce que c’est important quand tu es indé de diversifier au maximum tes revenus ?
Bien entendu. Quand tu es indépendant, tu dois redoubler d’efforts pour trouver des moyens de vivre et de te financer. Tu dois rester dans la course. Tu dois avoir du merch, mais pas simplement, il faut pousser le processus plus loin et faire en sorte que ce que tu proposes colle vraiment à ta musique et à ce que tu veux envoyer comme message.
Tu te vois signer dans un label un jour ?
L’idée n’est pas impossible. En distribution, ou un truc du genre. Tout dépend du deal, je ne signerais rien si je n’ai pas le contrôle total de ce que je produis. Personne ne peut savoir mieux que moi quand et comment je veux sortir ma musique.
Dans tes visuels, on sent une grosse influence des films d’horreur. Tu bosses toi-même ta DA ?
Lorsque je tourne un clip, je suis à 50-50 avec le directeur vidéo. Je veux que ma vision et la sienne fusionnent. J’ai beaucoup aimé ce type de films. Freddy Krueger, Jeepers Creepers… Quand je sors un visuel, je veux qu’il y ait une putain d’ambiance de boucherie, no cap (rires) !
C’est quoi la journée typique de Nutso Thugn ?
Je me réveille, je prends un bon petit déjeuner et je cook des prods toute la journée. Quand j’en ai assez d’être enfermé, je descends downtown pour prendre l’air et voir un peu de monde. Je me laisse porter par le flow de ma routine et je m’adapte, en gros.
Est-ce que le fait de ne pas encore être « big » aux US peut étonner ton entourage quand on voit le soutient dont tu bénéficies ailleurs ?
Ouais. Ça me surprend aussi, je t’avoue. Mais je ne me pose pas trop de questions. Tant que je reste moi-même, si ça pète, c’est cool. Je me vois faire de la musique toute ma vie, mais j’arrêterais de rapper un jour. Je ne m’imagine pas à 40 ans en mode Nutso Thugn. Par contre, j’aimerais me concentrer plus tard sur l’aspect producteur de ma carrière.
J’ai vu un tweet l’autre jour qui disait que la scène rap allait connaître une explosion comme aux early 2010s avec Joey Badass, ASAP Rocky et compagnie. Tu penses quoi de cette génération ?
Je ressens grave cette énergie. Il y a toute une nouvelle scène qui se développe. Je peux te citer mon petit reuf KA$HDAMI, ou d’autres gars avec qui j’ai collaboré comme Slimesito, Fluhkunxhkos (free him), BigSmokeChapo, OTL Beezy, Lil Dude… Ils ont une vraie wave qui arrive, c’est chaud ! Ce que j’aime le plus avec eux, c’est qu’ils apprécient ma musique pour ce qu’elle est. Comme on dit souvent : vrais reconnaissent vrais. On parlait de loyauté, je te garantis que ces gars sont loyaux dans le studio et en dehors. Ce sont de vrais frères.
Tu viens de sortir un nouvel album : Ape II Society. Quel état d’esprit as-tu voulu retranscrire dans ce projet ?
Je me suis posé plusieurs jours seul dans une maison, et j’ai commencé à me rapper des choses à moi-même. Comme si j’étais en pleine conversation avec un autre moi. Dans la musique et dans la vie en général, j’ai l’impression d’être un singe aux yeux de la société, une sorte de fou. Dans ce projet et tous les jours que je vis, je veux me prouver à moi-même et aux autres qui ne croient pas en moi que je suis bien plus que ça. Mes textes et mes prods ne sont pas là par hasard, je suis dans cette merde pour de bon !
J’ai vu que tu allais passer en Europe vers la Toussaint ?
Comment tu sais ça (sourire) ?
Je fais juste mon job (rires).
(rires) […] J’y travaille, c’est vrai. Je dois encore régler quelques soucis administratifs, mais ça pourrait être pas mal de faire quelques shows avec Brodinski, qui sait ?
Texte : Nathan Barbabianca
Crédit : Fisher Taylor