Rowjay, entrepreneur de l’année

Le 19 novembre, Rowjay a dévoilé le tant attendu Carnaval De Finesse 2 : Les Chroniques D’Un Jeune Entrepreneur. Un album longuement teasé, un temps même confiné, qui vient conclure un cycle de trois années d’imprévus et de rigueur pour le jeune finesseur. CDF2 n’est pas un projet comme les autres, il dépasse de loin le simple cadre de la musique. Il s’agit d’un hymne à la débrouillardise et à la self-motivation, deux caractéristiques dont notre génération a plus que jamais besoin.




Avant les années 2010, il n’était pas facile pour un artiste de trouver son public. Soit par manque d’exposition, soit par manque de moyens de diffusion. Pourtant, en 2008, Soulja Boy établit un record avec « Crank That » en vendant trois millions de copies digitales de son hit. À ce moment, le rap bascule définitivement dans le digital et l’artiste devient le premier flexuenceur de cette nouvelle ère. Plus tard, l’arrivée de SoundCloud a permis à certains de se faire leur propre place, là où finalement, seuls la dévotion et le talent payent. En 2015, Rowjay commence à poster des mixtapes sur le site. À la même période, des producteurs comme Kaytranada – avec un label Soulection au top de sa forme – ou encore High Klassified et FREAKEY! rayonnent à l’international et viennent donner un aperçu du vivier de talent que couve Montréal. Ils vont insuffler à leur ville une aura et une force qui va motiver toute une génération à se montrer et tenter sa chance dans un nouveau rap francophone où les frontières ont été brisées par Internet. Une volonté que Rowjay affirme toujours aujourd’hui dans le titre « Processus » sur CDF2 : « Depuis le premier jour, moi mon focus il est mondial. »

Hors catégorie

Rowjay est né d’un père italien et d’une mère québécoise. Il n’a jamais quitté Saint-Léonard, un quartier cosmopolite de Montréal occupé en majorité par une communauté italienne anglophone. Lui suit des cours à l’école francophone. Il y rencontrera très tôt des amis qui ne le quitteront plus. Des frères, à l’image du producteur DoomX qu’il croise la première fois en primaire à six ans et présent sur CDF2. Pareil pour FREAKEY! qu’il captera plus tard au collège.

Toute sa vie, et avant même de se lancer dans la musique, le jeune finesseur s’est construit en dehors des sentiers battus. Si à ce jour le rap est bien représenté à MTL et qu’il est le genre musical le plus écouté dans le monde, cela n’a pas toujours été le cas. Le sentiment de ne pas être à sa place, et d’être jugé par des personnes qui n’ont pas sa sensibilité ne va pourtant pas freiner Rowjay dans sa poursuite de la réussite.

La finesse, son surnom qui le suit depuis ses débuts est une référence aux Migos et au style de vie qu’ils inspirent. Tout comme Rowjay est un clin d’œil à Rick Ross, dont l’un des aka est Rozay. Le boss de Maybach Music est lui aussi un ambassadeur de la classe, du luxe et de la motivation à s’élever. Après avoir poncé 50 Cent, le G-Unit, Pimp C, OutKast, Cam’Ron, Ludacris et consorts, c’est au tour de Rowjay de passer en cabine. Fait assez drôle pour être signalé, l’artiste a commencé à rapper en Français alors qu’il n’écoutait presque exclusivement que du rap US. Une particularité qui va jouer son rôle dans la singularité du jeune homme.

Il ne va pas directement se faire remarquer à Montréal, mais en Europe. Des rappeurs francophones émergents du cloud vont le valider, reconnaissant en lui un véritable bosseur et un fou rimeur. Il n’y a pas que l’underground qui l’adoube, d’ailleurs il n’a jamais vraiment été dans cette case que trop d’artistes se voient attribuer. Dès le début de sa carrière, Rowjay va côtoyer des gros noms tout comme des jeunes pépites à son image. Les chiffres ne valent rien, seule l’authenticité est gage de valeur à ses yeux et ceux de ses congénères. Ainsi, lors de ses premiers voyages en Europe, il sera amené à capter Mister V ou le sauce god Hamza en personne, ce qui donnera au passage le remix magique de « Stripclub ». Suite à ces tours en France et en Belgique, l’artiste est désormais convaincu de sa mission : représenter Montréal à l’international et faire reconnaître son talent.

Jeune avant-gardiste

Depuis ses premières mixtapes, Rowjay se démarque par la façon qu’il a d’aborder la musique. Si à l’époque la mode est aux covers faites à la va-vite, le rappeur attachera une importance particulière à ses visuels même s’ils ne sortent que sur SoundCloud. Le jeune finesseur est également un grand curateur qui sait s’entourer des meilleurs producteurs, que ce soit dans sa ville où en Europe. Influencé par Soutshide ou Lex Luger, il met les beatmakers au centre de ses tracks et propose des collaborations qui vont dans les deux sens. Une énergie qu’on ressent sur tous ses projets.

Dans « Soul Keeper », le trapper d’Atlanta Young Nudy affirme : « Never been a hater. I make money, I’m a motivator. » Rowjay n’est pas de ceux qui se contentent d’exhiber l’argent de leurs subventions dans les clips, il voit plus loin et vise à tirer les gens qui l’entourent vers le haut. Il se décrit lui-même comme un artisan, un entrepreneur qui cherche à pousser les autres vers le meilleur qu’ils ont à obtenir d’eux-mêmes. En 2018, l’artiste décide de quitter ses études, sa passion devenant la priorité numéro un.

En dehors du son, Rowjay est un bousillé de jeux vidéo qui puise une partie de son inspiration dans les classiques de Nintendo et SEGA. Il s’en amuse dans Free CDF2 sur « La Finesse » : « J’suis en avance sur la Switch, j’ai la DS. » S’il se dit visionnaire, preuve est que ses références se situent pour la plupart entre les années 1990 et la fin de la décennie 2000. Dans l’intro de CDF2, il parle du rap comme d’une science qu’il aurait travaillée sans relâche jusqu’à trouver sa propre formule rétrofuturiste.

Avant-gardiste dans la musique, le jeune finesseur l’est aussi dans sa façon de se présenter à sa communauté. Très tôt, il adopte un alter ego avec lequel il tord régulièrement de rires ses auditeurs à travers des vidéos courtes. Une capacité d’autodérision rare dans le milieu du rap, qui fait partie du charme du Montréalais. Ce n’est donc pas surprenant de le voir en compagnie d’Yvick ou de Mahdi Ba, qui en plus d’être ses bons potes lui donnent régulièrement de la force.

Fin 2019, Rowjay aura même l’honneur de voir « Saint-Laurent », titre qu’il partage avec Mister V, ajouté au jeu NBA 2K20. Une consécration qui va asseoir sa réputation et le pousser à se développer davantage. Il commence alors à streamer régulièrement sur Twitch, où il lance son podcast On Discute En Finesse. Ce dernier verra passer des invités de choix comme 8Ruki, Serane ou JMK$. Il y joue aussi à ses jeux préférés, et écoute chaque semaine les prods de ses viewers. Rowjay a de l’audace et véhicule de bonnes ondes. Il réussit le tour de force d’amener son public à un autre niveau d’écoute en proposant une expérience artistique unique.

Le grand carnaval

Carnaval De Finesse 2 : Les Chroniques D’Un Jeune Entrepreneur est le deuxième album de Rowjay et la suite logique au premier Carnaval De Finesse sorti en 2016. À l’origine, le projet était prévu pour 2019, mais le rappeur a décidé de prendre du repos et de le repousser. Suite à cette décision, il a dû encaisser les imprévus d’une pandémie mondiale et se réinventer. Invité sur la tape 8GANG de ses homies 8Ruki et JMK$ dans « Takeoff », Rowjay est prêt à prendre le rebond : « J’prends un pas de recul, avant de faire deux pas d’avance. »

Dans CDF2, le jeune finesseur se met en scène dans son propre spectacle pour servir une cause : porter un message positif aux jeunes qui font de vraies choses. Cette année, le rap underground a passé un cap et les oreilles du public francophone sont enfin rivées sur la nouvelle vague. Une occasion parfaite pour le retour du vrai rap sale, boosté à la Saint-Léotrap. Sur les 19 tracks que compte le projet, on retrouve sept producteurs, dont trois qui reviennent fréquemment et apportent une teinte particulière à l’album. DoomX, FREAKEY! et Platinumwav font du carnaval un show aux ambiances variées qui restent toutefois cohérentes.

Côté featurings, Rowjay donne l’impression que CDF2 est un aller-retour France/Canada drivé par une volonté de partage. Le COB 65 était déjà bien représenté dans les instrus du projet, il continue de l’être avec Andrike$ Black sur le titre « PNL ». Côté MTL, on retrouve aussi Shreez sur « Percer », premier single de l’album, et Obia Le Chef qui sort exceptionnellement de cuisine pour nous servir le crack auditif avec « Audio Dope ». En France, Rowjay nous propose des collaborations all-star d’un côté avec Serane et 8Ruki, de l’autre avec Alpha Wann, invité de marque le temps d’une partie de « Devil May Cry ». Loveni est également convié à la fête pour un hommage dément à Pimp C où Rowjay semble habité par le fantôme du défunt Texan. Avec de tels partenaires, le jeune finesseur peut commencer à convoiter la place d’ambassadeur du Québec en France et commencer à chercher ses futurs gardes du corps comme il l’évoque dans l’excellent « Exercice De Finesse » : « Bientôt j’aurais besoin d’un cortège pour me protéger. »

Pourtant, au-delà de l’aspect entertainer, Carnaval De Finesse 2 : Les Chroniques D’Un Jeune Entrepreneur est le projet où Rowjay se livre le plus. Certes, il est toujours question de Maison Martin Margiela, de Bape et de MCM, mais le temps de quelques solos introspectifs, le rappeur redevient Jason et abandonne l’égotrip pour ses auditeurs. Pour devenir meilleur, il faut être prêt à prendre des défaites et en tirer des leçons. Une expérience dont le rappeur fait profiter son public, premier concerné par cet hymne universel au hustle.


Texte : Nathan Barbabianca

Crédit : Walid Metouri

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