Goldblok Garments est une marque dont le nom résonne de plus en plus fort à travers Bruxelles. Pur produit des quartiers nord de la ville, son créateur puise une bonne partie de son inspiration dans son environnement : les sapes de la fin des années 90, le hip-hop, le graff ou encore l’architecture. Il nous accueille dans son atelier, où il bosse de nouveaux prototypes pour la saison à venir.
Comment as-tu créé Goldblok ?
Je suis né dans le nord de Bruxelles. J’ai toujours été ici, je suis un produit du côté flamand de la ville. J’ai fait des études d’architecture à l’école de Saint-Luc, puis j’ai eu mon diplôme. En 2018 j’ai ouvert un resto oriental aux Marolles, une ASBL avec un associé, ça s’appelait Pois Chiche. L’aventure a duré deux ans, puis j’ai arrêté en 2020 : c’est là que je me suis persuadé qu’il fallait tout investir dans le textile, dans Goldblok. Au début, je faisais des petites releases par-ci parlà. Ouvrir un restaurant m’a montré que j’étais capable de faire le plus dur, à savoir créer sa structure, donc j’ai ouvert ma boîte Goldblok Garments.
Ça fait combien de temps que tu design des sapes ?
J’ai eu l’idée en tête en voulant faire un t-shirt avec mon pote Jazz Brak de Stikstof. On voulait avoir notre propre marque, on aimait bien l’or et les quartiers ghetto/déserts. C’est venu de là. Au début on pensait à « Goudblok », qui veut dire lingot d’or en flamand, mais ça sonnait trop flamand. Avec gold, c’est le bon compromis entre néerlandais et anglais, et justement on a fait exprès de mettre juste un « K » à la fin pour garder l’identité locale. Comme le son de Jazz qui s’appelle « Gele Blokken ».
Vous êtes des amis de longue date ?
Oui on est des amis d’adolescence. Ça va faire 10 ans qu’on se connaît.
Et donc cette première pièce est sortie quand ?
2017, il me semble. On a débuté doucement, avec un rythme du genre quatre pièces par an. Quand il y avait le temps, on faisait quelque chose, sinon on ne faisait rien. Par exemple Jazz était super occupé par Stikstof, il n’avait pas le temps pour s’`investir vraiment là-dedans. Donc on a convenu que je prenne le truc en main seul, et lui reste de côté. Maintenant, la règle entre nous c’est qu’il n’a plus rien à voir avec, mais ça reste son bébé et je lui donne un exemplaire de chaque pièce. De tout, même si ça ne lui va pas (rires).
Tu es seul maître à bord ?
Je le suis devenu oui. C’est mon ASBL, je gère tout ça seul, et je travaille bien sûr avec beaucoup d’autres créatifs.
Quelles sont tes inspirations ?
La majeure partie, je pense que ça vient de l’architecture, de tout ce que j’ai vécu à l’école. Certes c’était pour mes parents et le diplôme, mais ça m’a apporté cette vision. L’urbain m’inspire beaucoup, je suis aussi graffeur de base, j’organise par exemple le festival Meeting of Styles à Anvers. Je fais partie du crew Aerosol Kings là-bas.
Et pour revenir sur les inspis ?
Oui donc, les couleurs industrielles, la profondeur, les contrastes… Tout ça vient vraiment de là, je suis presque maniaque sur certains trucs côté sape. Mais à part ça, niveau vêtements assez bizarrement je n’ai pas vraiment de référence à te citer. Disons que j’achetais un pantalon parce que j’avais besoin d’un pantalon, c’est tout. Mes goûts sont super larges, ça va de Brain Dead jusqu’à du M+RC NOIR, ou du Butter Goods, le panel est varié. Ce qui me plaît ce sont les logos en fait : les couleurs à plat, la simplicité du trait, en deux dimensions, j’adore ! C’est ce que je recherche avec ma marque.

On retrouve pas mal de géométrie dans tes sapes…
Ça vient aussi du graff pour le coup, ça fait 12 ans que je suis dans ce domaine.
D’où vient ce kiffe pour Mercedes ? De toi ?
Ouais, tout bêtement j’adore les mercos. D’ailleurs, je viens de réaliser un poster pour ma nouvelle collection. J’ai fait en sorte de choper une Mercedes pour le prochain shooting. J’aime bien l’esthétique de la marque, en particulier les anciens modèles très larges… Comment dire, ils ont une sacrée gueule, une prestance.
Architecture, auto, tu apprécies le brut de l’industriel ?
Totalement. J’adore l’industriel, j’aime le béton, le métal, l’aspect rude des gros ses constructions. Tu parlais de la Mercedes,c’est aussi un bloc par exemple. Ma copine est photographe et elle prenait beaucoup de clichés de Mercedes en mettant en évidence le logo à l’avant, les jantes… J’ai tellement kiffé qu’on a fait une collab. On a beaucoup de demandes pour ça c’est top. C’est un beau logo, simple et rond, comme le mien.
Comment as-tu créé le tien ?
En m’inspirant de beaucoup d’autres ! J’ai un livre ici dans lequel je collectionne des tas de logos de 1930 jusqu’à maintenant. Ça alterne du Panasonic au Caterpillar. C’est simple, efficace, fort… En gros ça te parle immédiatement.
Ta source principale c’est Bruxelles ?
Sûrement oui. Je crois qu’en grandissant ici, sans que je le veuille, ça fait beaucoup de connexions dans ma tête. Où je vais, avec qui je parle, tout ça m’apporte. Je ne sais pas vraiment comment ça se traduit dans mon travail, mais oui je sens que c’est présent.
Le parking 58, le plot…
Oui, bon voilà (rires). C’est des trucs qui disparaissent… Tout comme le parking, je pense que le poteau va être remplacé par un truc horrible. Pour moi, c’est des trucs qu’il faut garder car ça nous représente : quand j’étais gamin, je m’en foutais de ce plot, et maintenant qu’il s’en va on se rend compte qu’il avait de la gueule.

Avec Goldblok, tu veux figer des « moments » de Bruxelles en fait ?
Oui, c’est une belle image, ça fait partie de moi. Par exemple, à 15 ans on allait fumer des joints et boire des coups sur le haut du parking 58. Peut-être que le lieu ne nous servait à rien, mais c’était notre jeunesse, on y a lié des amitiés. C’était aussi un lieu d’expression, de peinture, il y avait le « Mur », un truc organisé par le Montana shop.
Tu es aussi ultra connecté avec la scène rap locale.
Les Flamands en particulier. Parce que j’ai grandi avec la génération qui s’est faite connaître par la suite. Les gars de Stikstof, Le 77 que j’ai rencontré très tôt aussi, Berry… C’est des types qui deviennent grands maintenant, mais on était juste des potes. La collab avec Le 77 était très cool et l’un des premiers trucs qui m’a apporté de l’exposition. Quand on allait en concert, on voyait le pull partout c’était génial, même si je ne peux plus le voir aujourd’hui (rires). Je suis comme ça, je déteste toutes mes créations deux mois après, donc j’en parle toujours mal.
Tu aimes l’idée de faire du merch pour les artistes ?
Ça dépend, parce que tu as beaucoup de types qui veulent du merch juste pour la thune, pas pour l’art. Ce que j’apprécie dans une collab, c’est avant tout l’échange d’idées, que ça aille plus loin que l’objet en lui-même. Je préfère un truc plus cher et disons recherché, que de faire une broderie pour faire une broderie. C’est rencontrer la personne, voir si les connexions se font, que lui, moi et les clients soyons contents en gros.

Quelle est ta stratégie à long terme ? Main propre ? Drop en fripes ?
Ça dépend des cas : les drops dont tu parles, comme chez Rare ou Sixsixsix c’est parce que je connais les gars personnellement. Ce que je voudrais faire aujourd’hui, c’est vraiment d’avoir plusieurs collections par an, faire grandir la marque et la clientèle, mais à côté continuer mes collabs. Par exemple, chaque saison une collection de peu de pièces, et entre ça je fais plein de collaboration avec des artistes, peintres, musiciens, architectes… Je veux toujours rester fidèle à cet esprit. Dans le futur, ça pourrait être incroyable d’ouvrir un magasin, pas seulement pour ma marque. J’aimerais mettre en avant des designers qui me plaisent et créer une communauté.
Du genre ?
J’ai trop de noms en tête… Par exemple une marque néerlandaise qui s’appelle Lack of Guidance, qui fait des reproductions d’anciens maillots de foot. Je ne suis pas du tout foot mais j’adore l’esthétique, j’ai même fait un maillot pour la nouvelle collection. En bref, des marques peu connues que j’adorerais voir se développer ici. Il faut partager d’autres visions, sinon on reste enfermé dans la sienne. Ton univers a beau être lourd, je trouve que l’échange c’est hyper important.
Tu pourrais essayer d’aller vers l’international par exemple ?
J’ai des clients, en Hollande et en France par exemple, mais ça reste minime. J’ai commencé il y a peu, je ne suis pas encore dans la même optique marketing qu’une vraie marque. Il faut le temps que je pose mon style, que je crée mon réseau, puis on pensera à la suite. Par contre, j’ai déjà cherché des usines pour produire plus gros, je suis presque prêt…
Tu sors aussi de tes modèles de base pour proposer des trucs plus originaux, comme des tapis…
J’ai d’autres pièces pour l’hiver qui arrivent, comme du polar ou du sherpa, des grosses vestes quoi. Après, le truc que j’affectionne le plus c’est les t-shirts : je suis un fanatique des cols. Je ne regarde pas les gens dans les yeux, je les regarde au niveau du cou (sourire). J’ai beaucoup de trucs prévus, porteclés, casquettes, et encore des tapis. Ça coûte trop cher à faire produire, donc j’ai acheté ma propre machine.
Ici ?
Ouais, dans la pièce d’à côté ! En fait, à chaque collaboration je peux faire un tapis. Pareil pour ma nouvelle collection.
Tu penses en vendre ?
Pas du tout. Ce n’est pas mon truc, ça me soûle déjà, ça prend trop d’énergie. Juste, si je fais un truc commun avec quelqu’un, je tisse deux tapis pour le souvenir, pas plus. Un truc exclusif, pour marquer le coup.

Tu as fait une planche de skate aussi ?
On devait faire la planche avec Pattat’, mais on avait tellement de retard qu’on a annulé toutes les commandes. Mais je vais le refaire d’office, j’ai skaté pendant sept ou huit ans. C’est une culture qui m’influence. J’aime bien le style, le côté ample, le côté rien à foutre.
Au-delà de créer des sapes, tu consommes ?
Carrément, mais ça fait longtemps que je n’ai pas chopé une pièce. J’ai un peu trop acheté dans le temps, beaucoup de Patta par exemple. Des vêtements que je n’ai jamais portés à la maison, c’était juste pour les avoir. C’est le game, tu achètes juste pour posséder la sape. C’est exclusif, ça part le jour même, j’adore cet aspect drop limité. J’applique cette méthode pour ma marque, je ne sortirais jamais 1000 exemplaires d’une pièce. Je l’ai dit, j’en ai vite marre de ce que je fais, donc je dois faire de nouveaux trucs.
Ta plus grosse folie ?
Je ne suis pas si fou, si tu regardes Jazz par exemple c’est un niveau au-dessus (rires). Je ne pense pas avoir payé une sape plus de 500 euros. C’est déjà pas mal mais ça va non ? Je n’ai pas trop de thunes à consacrer à ça au final. Ce n’est pas la valeur monétaire qui définit la qualité d’un vêtement.
Qualité, pas quantité.
Très qualité ouais, ce que je n’étais pas du tout avant. J’étais en mode Fruit Of The Loom… Non pas aussi bas… Plutôt Russel, grand public quoi. Tu achètes un tissu en gros puis tu imprimes. Maintenant je sais par quelles usines je passe, en Indonésie, au Portugal, puis en Grèce. Je vois tous les détails, ça change tout.
Goldblok pourrait être à BX ce que Patta est à Amsterdam, ou Palace à Londres ?
Idéalement oui, c’est l’ambition ultime. C’est un immense oui. J’aime cette idée d’implantation, de représentation, d’autant plus qu’iln’y a pas beaucoup de marques à Bruxelles.J’aimerais grandir, continuer de collaborer,faire un magasin pour promouvoir la vision des gars d’ici, faire du retail à l’étranger…
Le combo parfait avec un t-shirt Goldblok ?
Comme je m’habille et comme tu t’habilles :pantalon large Carhartt, des chaussettes sans style, des sneakers classiques, une petite chaîne en or, une bague en or et une casquette, obligé.

Et la collaboration parfaite ?
Allez… Palace. Sur le site, ils montrent de nombreux détails à chaque pièce, c’est très souvent lourd. Pour la qualité, pas la fame.
Texte : Martin Muller
Crédit : Goldblok Garments